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Des Tunisiennes qui ont fait ou font la Tunisie

Reines, guerrières, militantes, érudites, mécènes et femmes saintes; elles sont des centaines et des centaines à s'être imposées à différentes époques et à avoir tissé un large pan de l'histoire de la Tunisie.

Point étonnant dans le pays où la Phénicienne Elyssa (Didon) a fondé l'empire de Carthage, où le Contrat kairouanais a fait figure de cas unique dans le monde musulman et où le révolutionnaire Code du statut personnel stipulant l'égalité homme-femme, a été promulgué dès la fin du protectorat français (1956) et avant même l'avènement de la République.

De nombreux hommes politiques ayant collaboré avec l'ex président tunisien Habib Bourguiba, l'affirment sans hésitation : le "Combattant suprême" n'aurait jamais été évincé par Ben Ali, s'il n'avait pas répudié Wassila.

Ils avancent même que si elle avait été là, elle n'aurait pas permis la nomination du Général comme Premier ministre, poste qui lui a permis de faire déclarer son président sénile (il l'était assurément) et de prendre sa place.

C'est que Wassila Ben Ammar qui a longtemps milité dans le mouvement de libération nationale et que Bourguiba a épousée en 1962, un an après avoir divorcé d'avec Mathilde (convertie à l'Islam, elle a choisi le prénom de Moufida), s'est aguerrie à la haute politique auprès et à l'ombre d'un "monstre" dont la clairvoyance, la pogne et le courage sont encore cités en référence.

Mais tout puissant qu'il était et bien qu'elle fût toujours discrète, c'est auprès d'elle que les ministres faisaient antichambre et c'est par elle que plusieurs décisions capitales, nominations et autres révocations sont passées, bien que toujours proclamées et signées Bourguiba.

On lui prête notamment d'avoir été à l'origine de l'accueil par la Tunisie de l'Organisation de libération palestinienne (OLP) et de ses chefs quand ils ont été évacués de Beyrouth en 1982, une perspective qui ne plaisait pas tellement à son époux.

A ce dernier elle aurait évité des erreurs dont celle d'avoir voulu jeter l'émir Turki, le propre frère du Roi saoudien, quand des membres de sa suite ont agressé un directeur d'hôtel à Hammamet.

Elle a dû se contenter, tant le président était en colère, d'un appel à quitter immédiatement le territoire. Et c'est en usant de sa diplomatie et de son crédit auprès de la famille royale que l'affaire n'a pas dégénéré en crise diplomatique majeure.

Les mêmes hommes politiques disent que si Bourguiba ne s'était pas séparé d'elle, les luttes de palais qui ont marqué la fin de son règne n'auraient pas été de l'ampleur connue et que le cours de l'histoire aurait été autre.

La preuve, le "Zaïm" (le leader) n'a tenu qu'un an et trois mois après le divorce. Et encore, un divorce éclair qui a été prononcé alors qu'elle se faisait soigner en France.

En tout cas, son influence, discrète mais réelle, sur les affaires d'un Etat en construction, ainsi que sa forte personnalité n'ont aucune commune mesure dans la mémoire collective, avec celles de la deuxième Mme Ben Ali, à cause de l'opportunisme et de la recherche du profit matériel qu'elle évoque.

Un ancien ministre va jusqu'à la comparer à Didon, la fondatrice de Carthage, tant son sens politique était aigu, ses conseils avisés et son attachement à l'intérêt général vrai, malgré le favoritisme qu'on lui prêtait. "Elle était tout simplement le seul et très discret bras droit de Bourguiba", résume-t-il.

Sophonisbe, Bchira, Radhia et les autres 

Entre ces deux femmes et bien après elles, la Tunisie a compté d'autres grands noms au féminin qui animeront encore longtemps les manuels de l'histoire, à commencer par Sophonisbe, la fille du général carthaginois Hasdrubal Girco.

Celle qui fut à l'origine de l'alliance de Carthage avec lSyphax le roi des Numides et qui a préféré la mort au déshonneur de tomber entre les mains des Romains, incarnera toujours le courage, la volonté, le sacrifice et l'orgueil.

Idem pour la Kahena qui résistera aux super puissants Omeyyades et qui régnera même pendant cinq ans sur l'ensemble de l'Ifriqia (Afrique du Nord), avant d'être capturée et tuée.

Ou encore Al Jazia al Hilaliya dont le geste a tant et tant été glorifiée par les poètes, les écrivains et les chercheurs au Maghreb comme au Machreq (Orient).

Cette grande guerrière dont la bravoure égalait la beauté, a été chargée par la dynastie fatimide de conquérir l'Ifriqia, ce qu'elle fit. Elle finira par se sacrifier et par sacrifier toute sa famille pour que son honneur reste sauf.

Les bienfaitrices et les saintes femmes ne manquent pas non plus. Aux pieuses qui se sont consacrées à Dieu et à l'aide d'autrui comme Essayda Ajoula, Lella Arbia ou encore Essayda al Manoubia, la disciple des très connus saints hommes Bousaïd el Béji et Belhassem Chedli, on ajoute allègrement la mécène Aziza Othmana, l'épouse de Hammouda Pacha Bey de la dynastie mouradite.

Cette dame ne s'est pas contentée d'accomplir le pèlerinage avec l'ensemble de ses serviteurs et esclaves, d'affranchir ces derniers ou de fonder et cofinancer l'hôpital qui existe jusqu'à aujourd'hui à la Kasbah de Tunis et qui porte son nom.

Elle a surtout constitué tous ses biens en "habous" (fonds) au profit d'oeuvres caritatives : esclaves à affranchir, jeunes filles pauvres à nantir en trousseaux de mariage...

Et comment ne pas évoquer en cette Journée internationale de la Femme Radhia Haddad (décédée en 2003, elle n'a pas vu son petit-fils Youssef Chahed devenir chef du Gouvernement), la première femme députée, membre du Néo-Destour et du Parti socialiste destourien (PSD) de Bourguiba, présidente de l'Union nationale de la femme tunisienne (UNFT) de 1952 à 1972, date à laquelle elle ose porter un affront à son président en démissionnant de tous ses postes pour rejoindre le camp démocrate incarné par Ahmed Mestiri.

On ne peut occulter non plus la militante politique et féministe Tawhida Ben Cheikh, la première médecin femme de la Tunisie des années 1940, Aïcha Ben Amor Bellagha, première présidente de l'UNFT (1956-1958), active sur le plan politique, social et éducatif (elle fut notamment directrice du fameux lycée de la rue du Pacha et du collège Campbon, l'actuel lycée de la rue de Marseille à Tunis) ou Bchira Ben Mrad qui a été brillante par sa plume et par son engagement dans le mouvement national et dans celui de la promotion de la condition de la femme pour laquelle elle créait dès 1936 l'Union des femmes musulmanes tunisiennes et qui a compté entre autres pour membres Radhia Haddad et une certaine future "présidente".

Des femmes qui ont brillé et qui brillent encore, il y en a beaucoup. Nous en citerions des centaines dans chaque domaine. Il suffirait pour leur rendre hommage, en cette journée, de rappeler peut être qu'elles surclassent les hommes, au moins en nombre, dans différents secteurs comme l'enseignement et...le journalisme, tiens. On dit qu'elles sont l'avenir de l'Homme, elles sont sûrement son passé aussi.

Bonne fête Mesdames

Slah Grichi (AA)

 

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