De Bab Saâdoun jusqu’au siège de l’Assemblée des représentants du peuple au Brado, entre 1500 et 2000 manifestants ont réclamé l’adoption de l’égalité successorale en Tunisie. Les participants ont scandé des slogans tels que : « L’égalité est un droit, ni chariâa, ni hypocrisie ! », « Le peuple veut l’application de l’égalité » ou encore « l’égalité n’est pas une faveur! ».
“L’égalité dans l’héritage est un droit pas une faveur”, “Moitié-moitié, c’est la pleine citoyenneté”, pouvait-on lire sur certaines pancartes et banderoles brandies par les manifestantes. Certaines d’entre elles scandaient un slogan considérant “l’égalité (comme) une revendication légitime, pas d’hypocrisie”.
La marche qui intervient deux jours après la Journée internationale des femmes, a été initiée par la “coalition tunisienne pour l’égalité dans l’héritage” (CTEH) qui regroupe plus de 70 ONG, dont l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), Amnesty International et nombre d’organisations de défense des droits de l’homme. Elle était appuyée par plusieurs partis politiques de gauche. Encadrées par un service d’ordre étoffé, les manifestantes ont, malgré une forte chaleur, défilé sur un parcours de quelque deux kilomètres jusqu’au siège du parlement.
“Nous sommes là pour adresser un message concret au parlement pour qu’il engage un débat contradictoire sur cette question et adopte une loi qui garantisse l’égalité successorale entre les deux sexes”, a déclaré à l’agence Anadolu, Amina Rekik, une dirigeante du parti d’opposition “Machrou’ Tounes” (Projet de Tunisie). Selon elle, “il faut cesser de considérer ce sujet comme tabou, car, la question concerne toute la société tunisienne qui a évolué”.
Dans un document distribué à la presse, la CTEH, souligne que “l’égalité entre citoyens et citoyennes est un droit garanti par la Constitution tunisienne de 2014 et les conventions internationales ratifiées par la Tunisie et l’égalité dans l’héritage en fait partie”. “Je réclame des lois qui assurent l’égalité totale parce qu’aujourd’hui l’homme et la femme assument les mêmes responsabilité et exercent les mêmes droits et devoirs”, réclame Monia Alouni, une fonctionnaire de 28 ans.
Pour la dirigeante de l’ATFD, Ahlem Belhaj, “la démocratie demeurera tronquée, sans l’égalité totale entre l’homme et la femme”. La président d’honneur de la Fédération internationale des ligues de défense des droits de l’homme (FITDH), Souhir Belhassen, fait valoir que le fait d’accorder dans l’héritage, deux parts pour l’homme contre une part pour la femme “n’est plus supportable”. “Nous militons depuis 30 ans pour l’égalité successorale et je me réjouis que le débat descende dans la rue avec un grand nombre de femmes, c’est un motif d’espoir”, soutient-elle.
Selon elle, ‘c’est une opportunité qui se présente devant le président tunisien Béji Caïd Essebsi s’il veut entrer dans l’Histoire comme (l’ancien président) Bourguiba”. Ce dernier avait, dès le lendemain de l’indépendance du pays en 1956, promulgué le Code du statut personnel (CSP) qui a abrogé la polygamie et la répudiation et accordé de nombreux droits à la femme.
L’actuel chef de l’Etat a créé une commission qui se penche depuis des mois sur les questions des libertés individuelles et de l’égalité dans l’héritage qui doit rendre ses conclusions en juin prochain. “Cette initiative ne doit pas rester lettre morte, car si on n’avance pas pour renforcer les acquis de la femme, on recule”, a suggéré quant à lui, Jouneidi Abdeljaouad, un dirigeant du parti “Al Massar”, de gauche.
En revanche, deux femmes seulement étaient présentes au rassemblement devant le parlement qui portaient des pancartes proclamant “non à l’égalité dans l’héritage”.
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Afin d'appuyer sa revendication d'égalité successorale, la coalition se base sur la situation économique des femmes tunisiennes aujourd'hui. "Elles ne sont que 12% à être propriétaires d’un logement et 14% à posséder une terre. La faiblesse des ressources héritées par les femmes réduit leurs chances d’accès à la propriété et aux crédits, ce qui entrave leur autonomie économique et aggrave leur vulnérabilité et celle de leur ménage", explique-t-on. Les femmes sont pourtant hautement instruites et ont montré leurs compétences dans tous les domaines, elles contribuent également autant que les hommes aux dépenses ménagères.
L'inégalité en héritage est "à la fois discriminatoire et anticonstitutionnelle et handicape l'accès des femmes à un statut de citoyenneté à part entière", dénonce la coalition.
À noter que l'égalité en héritage, tant réclamée par les défenseurs des droits humains, figure parmi les réformes en discussion au sein de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité, rattachée à la présidence de la République. La remise de leur rapport, initialement prévue pour le 20 février, a été reportée éviter la récupération politique à l'approche des élections municipales.