Pour la première fois dans l'histoire de la Tunisie, une femme se lance "le défi" de devenir maire de la capitale, un poste réservé jusque-là aux hommes. C'est aussi la première fois que le titulaire de cette fonction qui était désigné par le président de la République, sera élu au suffrage universel.
Pharmacienne de son état, Souad Abderrahim, 54 ans, a été désignée à la tête d'une liste du mouvement à obédience islamiste "Ennahdha" que de nombreux observateurs donne favori pour les élections municipales prévues le 6 mai, le premier scutin local organisé après la révolution qui a fait chuter en 2011, l'ancien régime dictatorial.
Cette femme qui refuse de porter le voile affirme pourtant qu'elle n'est pas membre de ce parti. Elle se dit "indépendante, mais proche" d'Ennahdha. Elle sera en lice face à 10 têtes de liste tous de sexe masculin, dans la course à la mairie de Tunis, la plus ancienne (elle a été fondée en 1858) et la plus peuplée (environ 650.000 habitants).
Un défi et une fierté
Elle considère que sa candidature est "un défi", tout en notant que "nous ne sommes pas dans une confrontation, mais dans une concurrence, car nous sommes appelés à travailler ensemble à l'avenir quels que soient les résultats et sans faire de distinction sur la base du genre".
Pour cette ancienne député à l'Assemblée nationale constituante (ANC), de 2011 à 2014, et militante de longue date dans les associations estudiantines et féministes, c'est aussi "une source de fierté pour la femme tunisienne".
Dans le seul gouvernorat de Tunis, Ennahdha a présenté en tout cinq femmes, dont trois non voilées, têtes de liste.
"C'est un message qui vise à rassurer les femmes de mon pays qui nourrissaient des appréhensions quant à la volonté attribuée au parti islamiste par ses détracteurs de changer le modèle sociétal et culturel de la Tunisie et à la crainte que les avancées de la femme soient remises en cause", plaide-t-elle.
"Ennahdha, un parti civil"
Le parti islamiste qui a opéré en 2010 un revirement remarquable en décidant de séparer le politique du religieux, pour devenir un "parti civil".
Signes de cette politique "d'ouverture et de tolérance", comme se plaît à le rappeler Mme Abderrahim, il a, par ailleurs, désigné le seul candidat de confession juive, Simon Slama, à Monastir, une ville du littoral du centre tunisien.
"Ma conviction est que la Tunisie est pour tous et la Constitution énonce que les Tunisiens sont égaux en droits et devoirs, indépendamment de leur sexe, de leur religion ou de leur couleur", martèle cette pharmacienne qui "évalue les gens sur leurs idées, pas sur leurs apparences".
Ses priorités
Presque sûre d'elle, elle a déjà un programme et "des priorités" une fois élue "Cheikhet Al madina" (maire de la ville). "La première tâche réside dans l'esthétique" de la capitale et "le plus grand défi c'est la propreté" qui en a pâti ces dernières années.
"Lors des visites que nous avons effectuées pendant la campagne électorale, nous avons constaté que le problème se pose avec acuité aussi bien dans les zones pauvres et marginalisées que dans les quartiers huppés", déplore-t-elle.
Agir sur la verdure et implanter une pépinière dans chacune des 15 circonscriptions de Tunis est son deuxième objectif. "Il s'agit de faire en sorte que Tunis soit le miroir du slogan attribué de longue date au pays appelé 'Tunisie la verte'.
Revaloriser les monuments de l'ancienne ville (la Medina), classée patrimoine universel par l'UNESCO, développer l'infrastructure et singulièrement l'éclairage partout par souci de sécurité, figurent aussi dans ses projets.
De par sa formation, elle dit attacher une "importance particulière" à la réhabilitation des centres de santé de base et de protection de la mère et de l'enfant délaissés depuis un certain temps, ainsi qu'à la multiplication des jardins d'enfants municipaux pour les familles démunies, pour assurer des services de proximité aux citoyens.
La probable future maire de la capitale mise sur l'élément humain, sa santé en avançant que "mieux vaut prévenir que guérir". Elle projette de mettre dans toutes les écoles un savon pour chaque élève, car "le traitement d'un seul cas d'hépatite équivaut à la fourniture de savons dans toutes les écoles pendant toute l'année".
Autre souci: prévenir les atteintes de cancer du sein et de l'utérus qui affecte de plus en plus de femmes.
Affichant "une confiance" quant à ses chances de remporter l'élection, la candidate d'Ennahdha est portée par une formation politique aux références islamiques dotée d'une forte assise populaire dans un pays où la majorité écrasante de la population est musulmane.
Face à la pléthore de partis politiques qui ont émergé après la révolution (plus de 200 actuellement), il est considéré comme le parti le mieux organisé, voire le favori de ces élections. Il a fait le plein de candidats dans l'ensemble des 350 municipalités que compte la Tunisie.
Son principal rival, "Nida Tounes" (L'appel de la Tunisie), présent dans 345 circonscriptions, semble, lui, marquer le pas en raison de l'émiettement qu'il a connu après le départ de son fondateur, l'actuel président Béji Caïd Essebsi et du désenchantement de ses partisans qui lui reprochent d'avoir fait alliance avec le parti islamiste après sa victoire aux élections législatives et présidentielle de 2014.
Pour Souad Abderrahim, "l'essentiel" dans ce premier scrutin post-révolution est de "faire réussir l'expérience de la gouvernance locale et, partant, celle de la transition démocratique" dans un pays considéré comme "une exception" parmi ceux du "printemps arabe" qui ont versé dans la violence, l'anarchie et l'autoritarisme. "L'enjeu majeur consiste du reste à consacrer la décentralisation du pouvoir comme stipulé dans la nouvelle Constitution tunisienne adoptée en 2014" qui préconise une "discrimination positive" en faveur des régions longtemps marginalisées.
L'élection du 6 mai intervient d'ailleurs moins de deux semaines après l'adoption par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP/parlement) du Code des collectivités locales qui accorde de larges attributions et une autonomie relative administrative et financière aux conseils municipaux et régionaux.
L'opposition ne désarme pas
Troisième parti en nombre de candidats (120), le Front populaire, une formation de gauche, ne désarme pas pour autant. Beya Manaï Miled, sa tête de liste dans la circonscription de l'Ariana, une ville à forte densité démographique proche de Tunis, estime "en toute modestie, qu'on a beaucoup de chances" de gagner l'élection, malgré le déséquilibre des forces.
"Je respecte l'intelligence des Tunisiens qui après avoir testé les gouvernants qui se sont succédés pendant sept ans et n'ont rien vu venir quant à l'amélioration de la situation dans le pays", déclare cette universitaire, la cinquantaine, à Anadolu.
Elle n'écarte pas à cet égard une désaffection des électeurs potentiels, surtout des jeunes, qui sont "désabusés". "Beaucoup ont perdu espoir au point qu'ils se jettent à la mer (migration irrégulière) ou se dirigent vers l'enfer dans les foyers de tension au Proche-Orient ou en Libye", opine-t-elle.
Selon elle, les Tunsiens ont désormais "acquis de la maturité dans leurs appréciations et leur volonté de changement va accroître nos chances".
"Notre crédit, c'est notre sincérité et notre intégrité. On a les mains propres et on n'a pas d'argent qui coule à flot de l'intérieur ni de l'extérieur. Acheter la dignité des gens avec de l'argent et des aides matérielles ne figurera jamais dans les pratiques de notre parti", plaide cette opposante.