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Au Maroc, la pandémie de Covid-19 a accru l’isolement des mères célibataires

Au moins 50 000 naissances hors mariage sont enregistrées chaque année dans le pays. Avec la crise sanitaire, les associations aidant les mères isolées sont débordées. Un reportage du Monde - Afrique.

(Le Monde - Afrique) - Touria (le prénom a été modifié) s’avance dans les ruelles bruyantes d’Hay Hassani et s’arrête au pied d’un immeuble décrépit. Elle balaye d’un regard méfiant les environs, puis s’engouffre dans les escaliers. Au deuxième étage de cette vieille bâtisse typique de ce quartier populaire de Casablanca, une pièce d’environ 10 mètres carrés lui sert de refuge. Deux matelas au sol, une gazinière, un réfrigérateur et une télévision. Touria monte le son. « Les voisins écoutent aux portes », chuchote-t-elle.

Depuis qu’elle a emménagé dans cette chambre il y a neuf mois avec Maha (le prénom a été modifié), sa fille de 8 ans, sa présence suscite des questions dans le quartier. Où est le père ? Est-elle mariée ? La police est-elle au courant ? « J’ai dit que j’étais divorcée, mais les voisins se sont mis à interroger ma fille, qu’ils savent plus vulnérable, raconte cette femme d’une quarantaine d’années. Pendant le confinement, ils nous épiaient. Cette situation déjà rude est devenue un calvaire depuis la crise sanitaire. »

Au Maroc, où l’avortement est interdit et les relations extraconjugales sont passibles de prison ferme, au moins 50 000 naissances hors mariage sont enregistrées chaque année, selon les associations. En plus de risquer la prison, la mère ne peut pas obliger le géniteur à reconnaître l’enfant en recourant à un test ADN et ne peut donc pas obtenir de pension alimentaire.

Par crainte de la police, mais aussi de leur propre famille, beaucoup de ces jeunes mères abandonnent leur bébé ou, comme Touria, élèvent leur enfant en cachette, loin de leur famille. « Ce sont des femmes qui affrontent chaque jour l’agressivité des gens, l’humiliation, le harcèlement », explique Meriem Othmani, présidente de l’Institut national de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf), qu’elle a fondé en 1999.

« Personne vers qui se tourner »

Isolées, voire exclues en temps normal, ces mères ont été particulièrement touchées par la crise due au Covid-19. « La société marocaine repose sur la solidarité familiale, surtout pendant les moments difficiles. Or, depuis la crise, cette catégorie pourtant très fragile n’a personne vers qui se tourner », ajoute la militante. Comme Touria, qui travaille comme femme de ménage chez des particuliers, les mères célibataires ont souvent un emploi précaire, sans protection sociale.

« Quand je lui ai dit que j’attendais un enfant, quelques semaines plus tard, il a nié et m’a traitée de prostituée » Touria, mère célibataire à Casablanca

Pendant le confinement très strict qui a duré près de quatre mois au Maroc, beaucoup de ces travailleuses ont perdu leur emploi. « Mes employeurs m’ont dit : “Si tu veux rester, tu ne sors plus de la maison”, explique Touria. Mais qu’est-ce que j’allais faire de ma fille ? Même l’école était fermée ! », poursuit la mère. Les trois premiers mois, l’Etat a versé des aides aux travailleurs informels, l’équivalent de 74 euros par mois pour un foyer de deux personnes. Mais c’était insuffisant pour vivre. A peine de quoi payer le loyer d’une petite chambre à Casablanca.

Aidée par l’association Insaf, Touria a fini par retrouver du travail il y a quelques mois. L’école publique accueille, elle, de nouveau les élèves, mais seulement trois jours par semaine. Le reste du temps, Maha est enfermée à clé, toute la journée, seule dans la petite pièce où sa mère lui laisse un seau en guise de toilettes, pour éviter qu’elle n’utilise celles qui se trouvent sur le palier. « J’ai honte mais je ne veux pas qu’elle sorte, j’ai peur que les gens s’en prennent à elle ! », confie-t-elle, désemparée.

Des associations débordées

La jeune femme originaire d’un village près de Taroudant, dans le sud du pays, est tombée enceinte en 2012, après une soirée dont elle n’a gardé aucun souvenir. C’était chez des amis, mais « je ne sais pas ce qu’il a mis dans mon verre. Quand je lui ai dit que j’attendais un enfant, quelques semaines plus tard, il a nié et m’a traitée de prostituée », souffle Touria.

Terrorisée et tenaillée par la honte, elle a caché sa grossesse jusqu’au jour de l’accouchement. « J’avais du sang partout, j’ai supplié l’ambulancier de me conduire gratuitement à l’hôpital. Il m’a convaincue de donner mon bébé à une femme stérile. J’ai dit oui, pourvu qu’il me laisse voir un médecin. Le lendemain, j’ai réussi à fuir avec Maha », se souvient Touria, un sourire teinté de mélancolie sur son visage.

Depuis l’avènement de la crise, les associations travaillent dur pour aider les jeunes femmes comme Touria à se réinsérer dans une société où le conservatisme religieux reste très fort. Mais aujourd’hui, elles reconnaissent avoir atteint leurs limites. « Nous arrivons à court de fonds, soupire Bouchra Zine, une responsable de l’Insaf. Nous sommes sollicités à longueur de journée par des femmes qui n’ont plus de travail, plus de quoi nourrir leur bébé ou parce qu’elles ont subi des violences pendant le confinement. » Les cas se multiplient.

Recueillie par l’association à la naissance de sa fille, en 2015, Mouna a elle aussi bénéficié d’une aide financière et d’un accompagnement psychologique après sa grossesse. La maman de 24 ans au visage d’enfant vit dans une chambre minuscule, construite sur un toit du quartier Oulfa, à Casablanca, coupée du reste du monde. Formée à la pâtisserie dans le centre de l’Insaf, elle était enfin parvenue à une situation stable à la veille de la pandémie. « Depuis le confinement, je n’ai plus de travail, il n’y a aucun espoir dans ce monde, ni pour moi ni pour ma fille », murmure la jeune femme aux grands yeux tristes. Tout près d’elle, la petite Amina, 5 ans, pétille de vie.

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Photo de couverture :

Des bénévoles marocains de l’organisation locale Institut national de solidarité avec les femmes en détresse préparent des dons alimentaires qui seront distribués à Casablanca le 8 avril 2020 pendant la pandémie de coronavirus Covid-19. (FADEL SENNA / AFP)

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