Le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental marocain (CESE) porte sur la jeunesse. Il arrive à point nommé au moment où le gouvernement a clairement exprimé une nécessaire mobilisation pour répondre aux attentes de cette frange de la société. Intitulé «Une nouvelle initiative nationale intégrée pour la jeunesse marocaine», cet effort de réflexion et de proposition se veut une plateforme pour animer le débat. Et le CESE n’y va pas de main morte pour faire un constat plutôt préoccupant : représentant près du tiers de la population, les jeunes de 15 à 34 ans sont restés pour la plupart en marge de la croissance économique qu’a connue le pays au cours des dix dernières années, sans bénéficier équitablement des progrès économiques induits par cette dynamique de croissance.
Le constat dressé par le CESE n'est pas des plus optimiste. Qu'on en jeuge avec ces deux graphiques extraits du rapport et présentant les jeunes de 15 à 34 ans au Maroc (observations de 2014).
En 2016, le Maroc figurait au 120e rang des 183 pays sur l’échelle de l’indice de développement de la jeunesse, derrière la plupart des pays à revenu intermédiaire de la Région MENA, dont la Jordanie (114e rang), la Tunisie (110e rang), le Liban (76e rang) et la Turquie (62e rang)5 . Cet indice permet d’établir des comparaisons entre pays et dans le temps et comprend cinq principaux domaines que sont l’éducation, la santé et le bien-être, l’emploi, la participation citoyenne et la participation politique.
Une grande partie des jeunes est préoccupée par les conséquences de son exclusion de la vie économique et civique. L’abandon des études, le chômage, le sous-emploi et l’absence de structures de soutien pour faciliter la participation à la vie sociale sont autant de facteurs qui contribuent à l’isolement et à un sentiment de frustration, ce qui les expose aux foyers de la délinquance, de la criminalité, de l’extrémisme, auxquels s’ajoute leur souhait grandissant de tenter leur chance en quête de nouvelles opportunités à l’étranger. Le contexte national actuel s’inscrit dans une phase de multiplication des revendications et manifestations sociales et qui mobilise de larges franges parmi les jeunes ; ces derniers constatant l’incapacité du modèle de développement en place à répondre à leurs besoins et ambitions. Même si la situation politique nationale a largement évolué depuis 2011, les aspirations de la jeunesse marocaine à un avenir meilleur demeurent présentes. Toutes ces contraintes mettent en lumière les défis à relever et la nécessité de mener une action plus systématique, stratégique et intégrée en faveur de l’épanouissement des jeunes, en mettant l’accent sur les besoins des plus défavorisés d’entre eux.
(Rapport du CESE)
Dans ce même ordre d’idée, le rapport pointe du doigt l’éducation et surtout l’orientation qui ne permet pas encore aux jeunes d’avoir des débouchés valables et viables. L’accès à des soins de qualité figure aussi parmi les attentes de ces jeunes. Une situation aggravée par l’addiction aux drogues et le tabagisme qui impactent négativement la santé psychologique et mentale des jeunes. Quant à l’employabilité des jeunes, elle se heurte à l’inadéquation entre la formation et les besoins d’un marché du travail en constante évolution. Fait marquant et pas moins regrettable, le taux de chômage chez les jeunes au Maroc augmente avec le nombre d’années d’étude. C’est ce qui explique le nombre de plus en plus important de ces bardés de diplômes qui cèdent aux sirènes de la migration.
En effet, le taux de chômage moyen des jeunes est de 20% malgré une croissance positive durant les dix dernières années. L’inclusion économique de la croissance n’est pas encore au rendez-vous. Quant aux jeunes de faible niveau d’instruction, l’accès difficile à l’emploi, l’emploi précaire notamment dans l’informel et la faible participation dans la vie civique et sociale, les excluent de la dynamique sociétale et économique mais il y a encore un fait plus inquiétant : seulement 1% des jeunes adhèrent à un parti politique ou à un syndicat. Selon le rapport, cette désertion des formes traditionnelles de participation politique, matérialisée par un très faible taux d’adhésion aux syndicats et aux partis politiques, traduit une véritable crise de confiance entre les jeunes et les institutions politiques. Par contre, ils sont de plus en plus nombreux à jeter leur dévolu sur les associations. Ce manque d’espace laissé aux jeunes pour faire entendre leur voix et peser sur les décisions politiques est encore plus préoccupant pour les femmes, les jeunes issus du rural et ceux des milieux socio-économiques défavorisés. Quand bien même les stratégies sectorielles misent sur la jeunesse en tant que levier de développement, leurs actions restent sporadiques et manquent de synergie et donc d’impact. Si l’on se réfère au rapport du CESE, il en ressort l’absence de cadre stratégique commun pour les politiques dédiées à cette frange de la population.
De ce fait, les efforts publics restent confrontés à des défis importants en termes de cohésion et d’efficacité en l’absence d’une vision globale qui puisse les guider et orienter l’intervention et les efforts des acteurs concernés. Pour remédier à cette situation qui provoque un sentiment d’exclusion chez les jeunes, un travail de benchmark est nécessaire. Le rapport du CESE met en avant des success stories en Amérique latine. En Argentine, par exemple, l’inclusion digitale des jeunes a poussé le gouvernement à distribuer près de 2 millions de netbooks destinés aux élèves et enseignants du cycle secondaire public. En Bolivie, un programme d’autonomisation économique des jeunes femmes vivant dans l’extrême pauvreté afin de les aider à construire et consolider un patrimoine propre a donné ses fruits. En ayant accès aux biens productifs et à un revenu, ces jeunes femmes ont pu avoir accès à tous les droits que leur octroie leur statut de citoyennes. Le programme «Université pour tous» expérimenté au Brésil a permis à des jeunes en situation de pauvreté ou de précarité d’améliorer leur situation grâce aux études.
Le CESE propose neuf domaines d’actions stratégiques, ou comment repenser les questions qui concernent la jeunesse, les enjeux auxquels elle doit faire face et les occasions qui se présentent à elle, pour envisager l’avenir en confiance.
1 - Renforcer les capacités des jeunes, élever leur niveau général de connaissances et développer leurs aptitudes tout au long de la vie afin qu’ils puissent s’adapter de manière continue et s’intégrer au monde du travail.
2 - Promouvoir l’insertion professionnelle des jeunes.
3 - Assurer une prévention efficace des jeunes vis-à-vis des risques sanitaires, améliorer leur accès à des soins de qualité, à la couverture médicale et à une protection sociale universelle
4 - Adosser l’Initiative Nationale Intégrée pour la Jeunesse à l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH).
5 - Conforter une citoyenneté indivisible des jeunes, dans sa plénitude et ses différents aspects, ainsi que dans ses droits et obligations.
6 - Pour conforter les valeurs du projet sociétal commun, il est recommandé de consolider le socle commun des valeurs sociétales et créer parmi les jeunes un environnement propice à leur diffusion, consolider l’attachement des jeunes à un islam éclairé, religion de modération et de tolérance, et promouvoir les valeurs d’ouverture et de dialogue entre toutes les cultures et pratiques cultuelles
7 - Promouvoir et soutenir la création culturelle et artistique des jeunes, leur créativité et leur intelligence sportive.
8 - Eduquer et sensibiliser les jeunes à la préservation et à la protection de l’environnement.
9 - Consolider l’engagement international des jeunes dans les grands agendas mondiaux et les faire participer au rayonnement du Maroc.