
Hicham TOUATI - Dans l’ombre des réformes administratives, certains bouleversements passent inaperçus jusqu’à ce que leurs conséquences deviennent irréversibles. C’est le cas du transfert abrupt de 486 employés du secteur du tourisme vers le ministère de l’Éducation nationale, une décision qui, loin d’être une simple réorganisation structurelle, s’apparente à un déclassement professionnel forcé. Loin de toute concertation avec les concernés, cette mutation illustre une politique de gestion des ressources humaines déconnectée des réalités du terrain.
À l’origine de cette situation, le décret n° 451-21-2 du 21 juin 2021, censé inaugurer une nouvelle ère pour les établissements de formation hôtelière et touristique. Ceux-ci, autrefois sous l’égide du ministère du Tourisme, devaient être intégrés dans un vaste projet visant à professionnaliser la formation, avec la création d’instituts d’excellence couvrant un éventail de disciplines, de la cuisine à l’animation touristique en passant par le marketing. Mais ce qui devait être une montée en gamme s’est transformé en un sinistre gâchis.
Hier encore, ces instituts étaient des références incontestées, offrant aux jeunes, notamment aux décrocheurs scolaires, une formation de qualité, directement inspirée des standards internationaux. Les partenariats avec l’Institut de Tourisme et d’Hôtellerie du Québec ou l’École hôtelière et d’Administration de Laval avaient façonné des programmes exigeants, où discipline, rigueur et professionnalisme étaient les maîtres-mots. Les infrastructures, modernes et adaptées, représentaient un levier essentiel pour la montée en compétence des apprenants. Aujourd’hui, ces centres de formation sont désertés, privés de direction claire et de moyens pour poursuivre leur mission.
Le tableau est édifiant. À Marrakech, un institut rénové pour plus de 10 millions de dirhams est devenu un simple garage improvisé pour motos. À Agadir, un établissement qui formait jusqu’aux formateurs est à l’abandon. À Fès, un centre autrefois dédié à la gastronomie marocaine est occupé provisoirement par une institution sécuritaire. Partout, c’est le même constat : ces lieux de savoir et d’apprentissage ont été vidés de leur substance, relégués à l’état de structures inutilisées.
Plus préoccupant encore, les formateurs et administrateurs transférés se retrouvent dans un vide professionnel sidérant. Désignés par les académies régionales ou les délégations provinciales de l’éducation, nombre d’entre eux n’exercent aucune fonction en rapport avec leurs compétences. Certains, spécialisés dans la cuisine ou la pâtisserie, sont désormais assignés à des tâches bureaucratiques dénuées de sens. La conséquence immédiate de cette négligence est un gâchis de talents et une perte irrémédiable d’expertise dans un secteur crucial pour l’économie nationale.
Dans ce climat d’incertitude, le ministère du Tourisme envisage de céder plusieurs établissements au secteur privé, à l’image des instituts de Salé et Erfoud. Une telle décision, si elle se concrétise, signerait la fin d’une vision de service public de la formation hôtelière et touristique au Maroc. Privatiser ces institutions, c’est condamner une jeunesse en quête d’opportunités à des alternatives coûteuses et inaccessibles, réduisant ainsi à néant l’idéal d’une formation ouverte à tous.
Face à cette impasse, une initiative tardive, mais porteuse d’espoir, a vu le jour. Younes SHIMI, secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, a invité les académies régionales à réfléchir à un plan de redynamisation. L’idée serait de réaffecter ces infrastructures pour servir l’éducation, la formation professionnelle et le sport, en revalorisant notamment les filières hôtelières et touristiques. Cette tentative pourrait marquer un tournant si elle s’inscrit dans une stratégie cohérente et ambitieuse.
Reste à savoir si les décideurs sauront transformer ce chaos administratif en un projet structuré, à même de restaurer le rôle de ces instituts comme moteurs de la formation dans un secteur clé. L’heure est à la réflexion, mais surtout à l’action. L’avenir de centaines de jeunes Marocains, la pérennité d’un savoir-faire et la compétitivité du tourisme national en dépendent.