Avant-propos - Cet article explore la problématique de l’enseignement des disciplines scientifiques en français dans les établissements secondaires marocains, analysant les enjeux, les défis, et les perspectives d'amélioration. Les réformes entamées depuis le début du troisième millénaire visent en effet à renforcer l’usage du français dans les filières scientifiques, les enseignants et les apprenants font face à de nombreux obstacles d’ordre linguistique, pédagogique et socio-culturel. À travers une analyse de la littérature existante et des études de cas, cet article propose des pistes de réflexion pour améliorer l'enseignement des sciences en langue française au Maroc.
Cadrage problématisant :
L’introduction du français dans l’enseignement des disciplines scientifiques au secondaire au Maroc s’inscrit dans une stratégie de réforme de l’éducation visant à renforcer l’ouverture internationale et la compétitivité des étudiants marocains. Toutefois, cette décision a suscité de nombreux débats en raison de la complexité linguistique et culturelle qui caractérise le paysage éducatif marocain. En effet, le choix du français comme langue d’enseignement pour les sciences (mathématiques, physique-chimie et sciences de la vie et de la terre) se trouve inévitablement confronté à la question de l’adéquation entre les compétences linguistiques des apprenants et les exigences de compréhension des contenus scientifiques.
1. Évolution historique et dynamiques sociolinguistiques de l'enseignement en français au Maroc
L’enseignement en français au Maroc ne date pas d’hier. Il remonte à l’époque coloniale, mais son usage dans les disciplines scientifiques a été intensifié avec la toute récente réforme éducative instiguée par la Vision stratégique (2015-2030). Selon Mohamed El Aoufi, président de l’Association marocaine des sciences économiques et fondateur de la revue « Critique Économique » et membre de la Commission scientifique du Rapport du Cinquantenaire, « le français a été privilégié en raison de son statut de langue de savoir et d’accès à la recherche scientifique internationale »[1]. Cependant, la majorité des élèves, en particulier dans les zones rurales, ne disposent pas d’une maîtrise suffisante de la langue française pour assimiler les concepts scientifiques de manière efficace. Aussi une fracture entre les élèves ayant une meilleure maîtrise du français, souvent issus des grandes villes, et ceux ayant des compétences limitées fait-elle surface, et affecte par voie de conséquence leur performance scolaire et leur intégration dans le système éducatif.
2. Défis et perspectives de l'enseignement scientifique en français au secondaire marocain
L’adoption du français dans l’enseignement scientifique s’assigne comme objectifs principaux de faciliter l’accès aux ressources internationales et de préparer les apprenants aux études supérieures, majoritairement dispensées en français ou en anglais dans les filières scientifiques. Et c’est à Mariella Causa d’affirmer à ce propos que « l’apprentissage des sciences en langue étrangère favorise le développement de compétences cognitives avancées et renforce les capacités d’analyse et de synthèse des élèves »[2]. Toutefois, cet atout d’ordre théorique achoppe contre des obstacles d’ordre pratique :
1. Barrières linguistiques : Les élèves et les enseignants attestent des difficultés considérables quant à la maîtrise du vocabulaire scientifique en français, ce qui enraie la compréhension et la communication des concepts.
2. Écart culturel et sociolinguistique : La langue maternelle des élèves, qu’il s’agisse de l’arabe ou de l’amazigh, est souvent très éloignée du français, ce qui complique l’apprentissage en sciences comme le souligne. (Alami, 2019, p. 92).
3. Ressources pédagogiques insuffisantes : Les manuels et les ressources pédagogiques en français adaptés au contexte marocain sont rares ou non actualisées. De ce fait, les enseignants adaptent, tant bien que mal, des ressources internationales souvent inadaptées à la réalité des élèves marocains. (Laghmari, 2021).
3. Les enjeux de la formation des enseignants en disciplines non linguistiques (DNL)
L’un des défis majeurs de l’enseignement des sciences en français au Maroc est tributaire de la formation des enseignants. L’implantation depuis 2014 de filières internationales a fait émerger une nouvelle exigence linguistique pour les enseignants de sciences, et qui se retrouvent sommés d’enseigner des concepts complexes dans une langue qu’ils maîtrisent parfois imparfaitement. Laurent Gajo souligne l’importance d’une telle compétence en affirmant que « la reformulation des concepts en classe devient un exercice essentiel, car elle permet de vulgariser le contenu scientifique en adaptant le niveau de langue aux capacités des élèves »[3] . Or, bon nombre d’enseignants ne bénéficient pas d’une formation adéquate en matière de DNL, ce qui impacte leur capacité à assurer efficacement leur rôle de médiateurs des savoirs disciplinaires en langue française.
Une situation pareille exige la mise en place de dispositifs de formation continue dans le dessein de renforcer les compétences linguistiques et pédagogiques des enseignants en DNL, et ce en leur fournissant, comme le soutient Mariella Causa, des outils pour utiliser la reformulation comme stratégie d’enseignement. Des études menées en France et au Canada montrent que l’utilisation d’approches plurilingues peut également améliorer la compréhension, en permettant aux élèves de faire des ponts entre leur langue maternelle et le français. (Bourhis, 2018).
4. Surmonter les obstacles à la compréhension des sciences : défis et stratégies pour les élèves
4.1. Obstacles de compréhension :
L'un des principaux obstacles pour les élèves est de comprendre les concepts scientifiques dans une langue qu’ils n’utilisent pas dans leur quotidien. Le manque de maîtrise du français entraîne des erreurs de compréhension, même pour des concepts simples. Selon une étude du chercheur marocain Ahmed Boukhriss, les élèves peinent à associer les termes techniques en français aux notions qu’ils ont déjà abordées en arabe, ce qui crée une confusion cognitive[4].
4.2. Stratégies pédagogiques pour améliorer la compréhension :
Plusieurs stratégies pédagogiques peuvent être mises en place pour faciliter la compréhension chez apprenants :
- Utilisation de supports visuels : Les schémas, diagrammes et les illustrations permettent de contourner les obstacles linguistiques dans la mesure où ils aident les apprenants à visualiser les concepts scientifiques.
- Références culturelles et locales : Intégrer des exemples et des contextes locaux, que les apprenants connaissent bien et qui rendent le contenu disciplinaire plus accessible. Certains chercheurs en ce domaines suggèrent que l’utilisation de situations familières, telles que des exemples de phénomènes naturels locaux, facilite la compréhension.
- Collaborations entre enseignants de langues et de sciences : Il s’agit ici d’un des aspects les plus déterminants. Causa propose à ce propos de favoriser le travail en équipe entre les enseignants de langues et de sciences pour renforcer l’acquisition de la terminologie et améliorer la fluidité dans l’enseignement des DNL.
5. Vers une intégration optimale du français dans l'enseignement scientifique : perspectives innovantes et recommandations clés
L’enseignement des disciplines scientifiques en français au secondaire marocain nécessite une approche qui tienne compte des réalités linguistiques et culturelles des élèves. À cet égard, plusieurs recommandations peuvent être proposées :
1. Renforcement de la formation en DNL : Offrir aux enseignants des formations continues en didactique des DNL et en pédagogie linguistique afin qu’ils puissent mieux intégrer le français dans leur enseignement sans nuire à la compréhension des connaissances scientifiques des apprenants.
2. Développement de ressources pédagogiques adaptées : Créer des manuels et des supports en français qui soient spécifiquement conçus pour le contexte marocain, en intégrant du vocabulaire en arabe pour faciliter la transition linguistique.
3. Mise en œuvre d’approches plurilingues : Permettre l’utilisation des langues maternelles dans les cours de sciences comme support pour introduire les concepts en français. Cette approche a a fait preuve de résultats positifs dans des contextes similaires.
Synthèse
L’enseignement des disciplines scientifiques en français au secondaire marocain constitue un des enjeux majeurs pour le système éducatif marocain, en raison des obstacles linguistiques et pédagogiques auxquels sont confrontés les enseignants et les élèves. Si l’adoption du français permet une ouverture vers des savoirs internationaux et une intégration de la communauté scientifique, elle requiert toutefois une adaptation spécifique au contexte local pour être efficace. Les défis soulevés par la récente réforme du système éducatif du pays appellent à des mesures concrètes pour renforcer la formation des enseignants, adapter les ressources pédagogiques et adopter des stratégies linguistiques inclusives. Sans cela, l'objectif consistant à doter les élèves marocains d'une compétence scientifique solide et plurilingue afin de s’intégrer avec succès dans le monde académique et professionnel ne saurait être atteint.
-Références :
- Benjelloun, F. (2018). L'enseignement des sciences en langue étrangère au Maroc. Casablanca : Éditions Maghreb.
- El Aoufi, M. (2017). « Les enjeux de la francophonie scientifique au Maroc ». Revue marocaine d’éducation et de pédagogie, 12(3), 70-85.
- Causa, M. (2020). Langues et savoirs : Collaborations entre enseignants de DNL et de langues. Paris : PUF.
- Gajo, L. (2018). « La reformulation dans l’enseignement des disciplines non linguistiques ». Revue de didactique des langues, 18(1), 203-215.
- Alami, M. (2019). Enseignement bilingue et apprentissage des sciences. Rabat : Imprimerie nationale.
- Bourhis, R. (2018). « Approches plurilingues dans l’enseignement scientifique : cas du Canada ». Journal de linguistique appliquée*, 15(4), 87-98.
- Boukhriss, A. (2019). « Les défis de la compréhension scientifique en langue étrangère ». Revue nord-africaine des sciences de l’éducation*, 7(2), 103-112.
- Laghmari, H. (2021). « Adapter les manuels scolaires aux réalités culturelles et linguistiques du Maroc ». Éducation et société, 19(1), 35-43.
[1] El Aoufi, M. « Les enjeux de la francophonie scientifique au Maroc ». Revue marocaine d’éducation et de pédagogie, 2017, p.76.
[2] Causa, M. Langues et savoirs : Collaborations entre enseignants de DNL et de langues. Paris : PUF, p.
[3] Gajo, L. « La reformulation dans l’enseignement des disciplines non linguistiques ». Revue de didactique des langues, 2010, pp. 203-2015.
[4] Boukhriss, A. « Les défis de la compréhension scientifique en langue étrangère ». Revue nord-africaine des sciences de l’éducation, 2019 pp. 103-112.
Biographie de l'auteur:
Adil LOUCHKLI, Docteur en littérature française, francophone et comparée. Inspecteur pédagogique de français au lycée. Personne ressource auprès de l'UNICEF dans le domaine des CVC. Expert international en conception des dispositifs de formation, des référentiels de mise à niveau linguistique et en ingénierie pédagogique.