Le Maroc fête ce 18 novembre le 64e anniversaire de son indépendance. Une célébration qui n’a pourtant pas toujours eu lieu à cette date. Récit d’une réappropriation monarchique de l’histoire.
Est-ce le 2 mars ou le 18 novembre ? Voici le sempiternel débat qui met aux prises les historiens marocains. Si, pour la version officielle, la fête de l’indépendance est célébrée le 18 novembre, c’est bien le 2 mars 1956 que le royaume a recouvré “juridiquement” sa pleine souveraineté, grâce aux accords d’Aix-Les-Bains signés entre le président du Conseil marocain Mbarek Bekkay et le gouvernement de la Quatrième République. C’est ainsi que, de 1956 à 1960, le 2 mars est un jour chômé au Maroc et est célébré officiellement comme la fête de l’indépendance. Ce n’est qu’à la mort de Mohammed V que le royaume change cette date. Et Hassan II, sans surprise, y est alors pour quelque chose.
Le date du 18 novembre est intimement liée au sultan Mohammed Ben Youssef, qui deviendra après son retour d’exil à Madagascar, le roi Mohammed V. Il sera intronisé un certain 18 novembre 1927, après la mort de son père le sultan Moulay Youssef, alors qu’il était le plus jeune de ses quatre enfants.
Mustapha Bouaziz, historien spécialisé dans le mouvement nationaliste marocain, nous rappelle certains faits: «La deuxième génération des nationalistes marocains a grandi lors des années 1920 et avait une vision pacifiste, civilisationnelle de la lutte pour l’indépendance. Elle menait des actions civiques tels que la grève, le boycott, le tract, etc… Cette génération a préféré travailler dans le cadre de la légalité internationale et considérait que le traité du protectorat, signé à Fès le 30 mars 1912, devait être respecté puisqu’il était régi par le droit international. La première génération des nationalistes marocains avait porté les armes et avait échoué dans son combat puisque le Maroc a été pacifié, ce qui avait poussé la seconde génération à voir les choses autrement».
Les nationalistes de la seconde génération considéraient le traité de Fès comme un acte international qui ne donne pas aux Français le droit de gouverner le Maroc, mais seulement de conseiller le pouvoir et protéger sa souveraineté, incarnée par le Sultan. «A partir de toutes ces considérations, les nationalistes ont décidé de célébrer la Fête du trône car auparavant, seul le 14 juillet était fêté au Maroc», assure Mustapha Bouaziz.
Le 18 novembre 1933, les Marocains célèbrent, pour la première fois de leur histoire, la Fête du trône poussés par l’appel lancé dans des revues nationalistes, notamment la Revue du Maghreb à Rabat et la Revue de l’action du peuple de Fès, dirigée par un certain Mohammed Ben El Hassan Elouazzani.
Fête du trône et les Trois glorieuses
Les nationalistes mobilisent la foule et une bonne partie des maisons marocaines arborent le drapeau national, donnant à cette date un air de fête populaire. «Commémorer la date de l’intronisation du Sultan Mohammed Ben Youssef était en soi un acte de rébellion que la Résidence générale n’a pas apprécié. D’ailleurs, plusieurs Marocains ne l’ont pas célébrée de peur des représailles des services du protectorat. Certains ont brandi les deux drapeaux, marocain et français, pour expliquer que leur geste est amical et qu’ils ne visent pas la confrontation avec la puissance coloniale», souligne le spécialiste de l’histoire contemporaine du Maroc qui ajoute que la France, via le Résident général de l’époque, a essayé de récupérer l’évènement.
Entre 1933 et 1953, les Marocains prirent l’habitude de célébrer la Fête du trône en ce jour et la date du 18 novembre est devenue synonyme de démonstration de force du mouvement nationaliste marocain. En 1953, le général Augustin Guillaume décide de déposer Mohammed V pour placer son oncle, Mohammed Ibn Arafa, sur le trône mais Mohammed V refuse d’abdiquer. «L’arrestation puis la déportation du Sultan, d’abord en Corse, puis à Madagascar a eu le contraire de l’effet escompté et elle n’a fait que souder davantage les Marocains derrière leur Sultan», rappelle Mostapha Bouaziz. Après plus de trois ans de lutte, le mouvement nationaliste parvient à obtenir le retour de Mohammed V de son exil.
Le 16 novembre 1955, l’avion de Mohammed V atterrit au Maroc et c’est une liesse populaire sur l’ensemble du territoire national. Les Marocains exultent et la fête durera trois jours, plus connue sous le nom des Trois glorieuses. Ainsi le 16 novembre, c’est le retour, le 17, la résurrection de la nation marocaine et le 18 novembre, la Fête du trône durant laquelle, le roi Mohammed V a adressé un discours à la nation annonçant que le royaume était sur le chemin de l’indépendance.
«L’indépendance officielle du Maroc a été signée le 2 mars 1956 et malgré le retour de Mohammed V, la Résidence générale continuait à diriger le pays», précise l’historien. Selon lui, la décision de fêter l’indépendance le 18 novembre a été prise par le roi Hassan II. «La Fête du trône de Hassan II était le 3 mars. Il a déplacé la date de l’indépendance du royaume au mois de novembre et l’a fait coïncider avec l’ancienne fête du trône», conclut Bouaziz.