A moins d’une semaine de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui doit se prononcer le 27 février sur la validité de l’accord de pêche Maroc-UE, la communauté des juristes se mobilise pour attirer l’attention sur les conséquences d’un arrêt qui transgresserait les limites de l’intervention de la Cour et entacherait l’i mpartialité de ses magistrats.
L’élément déclencheur de cet élan sont les dernières conclusions de l’avocat général de la CJUE qui, se basant sur des assertions extrajudiciaires et un raisonnement aporétique, veut impliquer la Cour dans une querelle d’ordre politique, ce qui constitue une violation du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs.
Pour ces juristes, le devoir de la Cour est de redresser les failles, particulièrement dans cette affaire, de faire respecter les normes juridiques européennes et dire le droit, sans entrer dans des considérations d’ordre politique.
Jean Yves de Cara, professeur émérite à la faculté de droit de Paris Descartes et Science Po Paris, soutient que la CJUE statue sur l’interprétation et la validité du droit européen et n’a pas compétence de se prononcer sur la validité d’un accord au regard du droit international.
Il explique, dans une interview publiée sur le site de l’Observatoire d’études géopolitiques (OEG), que cette juridiction régionale est invitée par l’avocat général dans ses conclusions à prendre position sur le bienfondé d’un traité international conclu par le Conseil de l’Union européenne, c’est-à-dire au fond une position politique. Or, relève-t-il, la CJUE ne dispose pas d’une compétence diplomatique. Ce n’est pas cette dernière qui doit apprécier l’opportunité de conclure un accord avec tel ou tel pays, martèle-t-il.
D’autre part, explique-t-il, en demandant à la Cour d’invalider l’accord de pêche, l’avocat général introduit « un facteur de déstabilisation du droit international et des relations internationales », mettant en garde contre le risque de voir n’importe quel traité conclu par le Conseil de l’UE être renvoyé devant la Cour par une quelconque association pour lui demander de se prononcer sur sa validité.
Sur les colonnes du journal espagnol «La Razon», Romualdo Bermejo, professeur de droit international à l’université de León a abondé dans le même sens en estimant que, dans ses conclusions, l’avocat général de la CJUE « n’a pas abordé la question avec l’impartialité et la hauteur que requiert sa fonction».
L’expert espagnol, qui est revenu dans sa tribune sur l’historique de la question du Sahara et le processus onusien de règlement du conflit, a fait observer que «le plus surprenant dans les conclusions de l’avocat général c’est qu’il a occulté le fait que la question du Sahara est entre les mains de l’Organisation des Nations Unies, seule compétente en la matière».
Le professeur espagnol n’a pas manqué de dire un mot sur la partie requérante, «une ONG à laquelle l’avocat général de la CJUE a accordé du crédit pour s’immiscer injustement dans une question qui relève de la compétence exclusive de l’ONU».
Dans une autre tribune publiée sur le site «euractiv.com» et relayée par plusieurs médias européens, Willy Fautré, Directeur de «Human Right Without Frontiers», a affirmé, pour sa part, que l’accord de pêche revêt une importance capitale dans sa dimension humaine dans la mesure où il contribue à la stabilité sociale et constitue un facteur durable de contribution à l’emploi local.
Le Directeur de cette ONG européenne de défense des droits de l’homme, qui appelle la Cour à la raison, relève que l’accord constitue également «un levier» important pour l’UE de promouvoir son dialogue politique avec le Maroc.
L’accord, souligne M. Fautré, est un « instrument essentiel pour l’UE dans sa politique de voisinage avec le Maroc. Y mettre fin créerait des tensions injustifiées, fragiliserait l’UE et porterait atteinte à sa capacité de négociation », a-t-il alerté.
A ces analyses juridiques s’ajoutent la détermination des pays membres de l’UE et la volonté des professionnels de la pêche des deux côtés de donner un nouvel élan à cette coopération qui s’est révélée «bénéfique» pour les deux parties.
Réunie la semaine dernière à Dakhla, la Commission mixte Maroc-Union européenne des professionnels de la pêche a, dans un communiqué relayé par les médias espagnols, souligné que l’actuel accord garantit le respect du droit international et des droits de l’homme et a été bénéfique pour les deux parties, notant qu’en plus des bénéfices économiques, son impact est également positif d’un point de vue social et environnemental, sans oublier ses résultats directs sur le développement aussi bien des infrastructures que des activités scientifiques et technologiques visant à garantir la durabilité des ressources halieutiques.
Cité par les médias espagnols, le secrétaire général de la Confédération espagnole de la pêche (CEPESCA) et co-président de la commission mixte, Javier Garat, a relevé que cet accord a démontré «son efficacité pour l’exploitation durable des ressources et son importance vitale pour quelque 126 bateaux de pêche européens».
«Contrairement à ce que prétendent certains groupes de pression qui servent des intérêts politiques évidents, cet accord est clairement bénéfique pour le développement socio-économique de la population de différentes provinces du Maroc», a-t-il affirmé dans sa déclaration aux médias espagnols.
A rappeler que les ministres de l’Agriculture et de la Pêche des 28 États membres de l’Union européenne réunis en Conseil, lundi à Bruxelles, ont donné mandat à la Commission européenne pour négocier un nouvel accord de pêche avec le Maroc.
L’accord actuel, qui arrivera à expiration le 14 juillet prochain, est entré en vigueur en 2014 pour une durée de 4 ans. Il donne accès aux navires européens à la zone de pêche atlantique du Royaume en échange d’une contrepartie financière de 30 millions d’euros par an financés par l’UE et 10 millions d’euros comme contribution des armateurs.