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Hicham TOUATI : Le Parlement, pierre angulaire de toute démocratie, devrait être l’épicentre du débat public, l’arène où se façonnent les lois et se défendent les intérêts du peuple. Pourtant, au Maroc, cette institution semble se vider de sa substance, non par manque de sujets brûlants à traiter, mais par l’indifférence flagrante de ceux qui sont censés la faire vivre. Comment justifier qu’un hémicycle comptant 395 députés peine à réunir ne serait-ce qu’un quart de ses membres lors des votes décisifs ? Comment admettre que des lois d’une importance capitale soient adoptées sans que ceux qui prétendent représenter la nation daignent s’exprimer sur leur contenu ? L’absentéisme parlementaire n’est plus une anomalie ponctuelle ; il est devenu un mode de gouvernance, un aveu de renoncement qui interroge le sens même du processus électoral.
Lors du vote du projet de loi sur le droit de grève, un texte déterminant pour l’avenir du monde du travail, plus des trois quarts des députés étaient aux abonnés absents. Ce chiffre accablant révèle l’ampleur du malaise institutionnel : au lieu d’être une tribune où s’affrontent les visions et se dessinent les orientations du pays, le Parlement se mue en un espace spectral, où seuls quelques élus engagés tentent, avec une persévérance quasi héroïque, de faire entendre la voix du peuple. Face à la désertion massive, quelques figures émergent et rappellent, par leur rigueur et leur ténacité, ce que signifie véritablement le mandat parlementaire. Des noms comme Omar Balafrej, Abdellah Bouanou, Nabila Mounib ou encore Rim Chabat se sont illustrés par la force de leurs interventions, le sérieux de leurs analyses et leur constance dans la défense des intérêts citoyens. Mais que peut une minorité de voix déterminées face à l’inertie d’une majorité silencieuse ?
Ce vide institutionnel pose une question cruciale : à quoi bon organiser des élections, avec leur lot de promesses et d’engagements, si les élus, une fois installés, se soustraient à leur mission première ? La démocratie ne saurait se résumer à un rituel électoral destiné à légitimer des mandats fantômes. Si l’abstention électorale est souvent dénoncée comme une menace pour la démocratie, que dire alors de l’abstention législative, qui prive les citoyens d’une représentation effective et transforme l’exercice du pouvoir en un monologue gouvernemental ?
L’attitude de certaines formations censées incarner l’opposition renforce encore cette crise de crédibilité. Plutôt que de remplir leur rôle de contre-pouvoir, certaines d’entre elles s’alignent sur les décisions gouvernementales, brouillant ainsi les frontières entre majorité et opposition. Comment interpréter ces votes où des groupes parlementaires, pourtant étiquetés comme adversaires du pouvoir, soutiennent sans réserve des lois controversées, au mépris des intérêts populaires ? Sommes-nous en présence d’une opposition domestiquée, simple faire-valoir d’un système où le consensus remplace le débat, où l’unanimisme dissimule la démission collective des élus ?
Face à cette dérive, des réformes s’imposent avec urgence. Il ne suffit plus d’en appeler à la conscience des députés ; il est temps de rendre la responsabilité élective effective et contraignante. La publication systématique des taux de présence, l’instauration de sanctions financières pour les absences injustifiées, voire la révocation des élus les plus défaillants, doivent cesser d’être des propositions théoriques pour devenir des exigences légales. Une démocratie ne peut prospérer sur l’absentéisme et le renoncement. Il est temps que les citoyens, lassés d’être représentés par des ombres, réclament des comptes à ceux qui, en leur nom, désertent l’espace du débat et de la décision. À défaut, la crise de confiance qui gangrène les institutions risque de se muer en rejet pur et simple du jeu démocratique, avec toutes les conséquences que cela implique.