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Un réquisitoire cinglant : analyse du langage et de la stratégie discursive du communiqué de l'Union marocaine du travail

Hicham TOUATI - Le communiqué publié par l’Union
marocaine du travail (UMT) le 6 février 2025 illustre une maîtrise éloquente du langage politique et revendicatif, combinant rigueur institutionnelle, argumentation rationnelle et une charge émotionnelle d’une intensité remarquable. Il ne s’agit pas d’un simple texte protestataire, mais d’un discours finement élaboré, structuré autour d’une stratégie d’influence visant à mobiliser l’opinion publique et à délégitimer les décisions adoptées par la Chambre des représentants.

Dès les premières lignes, le ton est donné : il ne s’agit pas seulement de dénoncer une décision législative jugée défavorable aux intérêts des travailleurs, mais de remettre en question la légitimité même du processus ayant conduit à son adoption. L’UMT ne se contente pas d’exprimer son désaccord : elle assène un réquisitoire implacable contre ce qu’elle qualifie de "mascarade législative", pointant du doigt un simulacre de démocratie où 84 députés sur 395 se sont prononcés sur un projet de loi à portée sociale majeure. La dénonciation de cette faible participation n’est pas anodine : elle vise à saper la crédibilité du scrutin en suggérant une carence flagrante de représentativité et, par extension, une atteinte aux principes démocratiques fondamentaux.

L’arsenal rhétorique mobilisé dans ce communiqué repose sur une dualité habilement exploitée entre le registre rationnel et l’émotionnel. D’un côté, l’argumentation s’appuie sur des faits concrets et des données chiffrées—à savoir l’absentéisme massif des députés—offrant au discours un vernis d’objectivité et une autorité argumentative indéniable. De l’autre, le recours à des formules percutantes et à un vocabulaire chargé d’indignation donne au texte une intensité dramatique qui transcende le simple constat factuel. L’emploi d’expressions telles que "trahison", "propos irresponsables", "dérive autoritaire", ou encore "outrage à la légitimité institutionnelle" traduit une volonté assumée de frapper les esprits, de susciter l’indignation et de polariser le débat.

Le texte se distingue également par sa construction progressive, qui confère au discours un effet de montée en tension. La dénonciation initiale de l’absence de quorum et du mépris des règles démocratiques cède la place à une critique plus virulente à l’encontre du président de la Chambre des représentants, dont le comportement est qualifié d’"insultant" et "irresponsable". Cette gradation rhétorique n’est pas fortuite : elle participe d’une volonté de construire un récit où l’UMT apparaît comme le dernier rempart contre une tentative de confiscation du débat parlementaire au profit d’une majorité agissante sans réel mandat populaire.

Par ailleurs, l’usage systématique de la répétition confère au communiqué une force d’insistance qui marque durablement l’esprit du lecteur. L’expression "mascarade législative", par exemple, revient comme un leitmotiv, inscrivant dans l’imaginaire du public l’idée d’un processus vicié et biaisé. De même, la mise en exergue du "silence complice" du président de la Chambre des représentants face aux critiques émises renforce l’image d’une institution dont la neutralité et l’éthique sont mises en cause.

Au-delà de son efficacité discursive, le communiqué révèle une intention stratégique claire : celle de repositionner l’UMT en acteur incontournable du débat politique et institutionnel, non plus seulement comme une force syndicale défendant des revendications catégorielles, mais comme une organisation porteuse d’une vision globale de la démocratie et de la gouvernance. En liant la défense des droits des travailleurs à une critique plus large des institutions, l’UMT dépasse ainsi le cadre strict de la protestation syndicale pour investir pleinement le champ politique.

En définitive, ce communiqué constitue un modèle abouti de rhétorique protestataire : il conjugue la rigueur du raisonnement, l’impact du langage et la précision de l’attaque ciblée pour construire un discours aussi percutant qu’engagé. Son efficacité réside dans cette capacité à interpeller, à mobiliser et à imposer une lecture des événements qui place ses auteurs en posture de légitimité absolue face à des institutions jugées défaillantes. À travers une plume acérée et une indignation savamment mise en scène, l’UMT parvient ainsi à transformer un différend législatif en un enjeu de principe, où se joue, bien au-delà d’un texte de loi, la conception même du rôle des représentants du peuple et du respect des règles démocratiques.

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