AFP - La direction de la SNCF renonce à se pourvoir en cassation face aux 848 Chibanis qui l’accusent de discrimination en raison de leurs origines, a-t-elle annoncé vendredi à l’AFP, tout en contestant de nouveau les faits reprochés.
Voilà longtemps qu’ils attendaient cette décision. Certains depuis plus de 12 ans. La direction de la SNCF a annoncé vendredi qu’elle renonçait à se pourvoir en cassation face aux 848 Chibanis qui l'accusent de discrimination en raison de leurs origines. Le terme « chibani » (en arabe : « cheveux blancs ») désigne les travailleurs que la France a fait venir du Maghreb et qui sont aujourd’hui retraités.
La compagnie ferroviaire conteste néanmoins les faits reprochés. Leur avocate, Me Clélie de Lesquen-Jonas, a fait part de son «grand soulagement», trouvant cependant «dommage » que la SNCF « soit toujours dans le déni».« Je comprends ce renoncement comme une reconnaissance des discriminations qui ne dit pas son nom», estime-t-elle.
La cour d'appel de Paris avait donné raison le 31 janvier à ces (ex-)cheminots, principalement marocains, en leur accordant des dommages et intérêts pour préjudice moral, de carrière et de retraite pour un montant total estimé à près de 160 millions d'euros, une somme considérable.L'avocate a déjà commencé à distribuer des chèques à des clients, dont certains avaient « les larmes aux yeux » en le recevant. Elle en a fait de même auprès de veuves qui « n'osaient pas le toucher », affirmant « c'est mon mari qui aurait dû l'avoir », rapporte-t-elle.
La cour d’appel de Paris a donné raison pour un montant total estimé à près de 160 millions d’euros, selon l'avocate des chibanis, Clélie de Lesquen-Jonas.
« Nous ne formons pas de pourvoi en cassation contre les arrêts rendus », a annoncé à l’AFP la direction de la SNCF. « Nous ne reconnaissons pas la discrimination, mais souhaitons de l’apaisement vis-à-vis de ces travailleurs marocains », a-t-elle ajouté.
Après moult renvois et plus de 12 ans de procédure pour certains, la quasi-totalité des plaignants avaient obtenu gain de cause devant les prud’hommes en septembre 2015. Mais l’entreprise avait fait appel de cette décision.
Les Chibanis (« cheveux blancs » en arabe), marocains pour la plupart — la moitié ont été naturalisés –, ont été embauchés entre 1970 et 1983 par la SNCF, majoritairement comme contractuels, et n’ont pas bénéficié à ce titre du « statut » plus avantageux des cheminots, réservé aux ressortissants européens, sous condition d’âge.
Sollicitée par l’AFP, leur avocate a fait part de son « grand soulagement », trouvant cependant « dommage » que la SNCF « soit toujours dans le déni ».
« Je comprends ce renoncement comme une reconnaissance des discriminations qui ne dit pas son nom », a ajouté Me Clélie de Lesquen-Jonas.
L’avocate a déjà commencé à distribuer des chèques à des clients, dont certains avaient « les larmes aux yeux » en le recevant. Elle en a fait de même auprès de veuves qui « n’osaient pas le toucher », affirmant « c’est mon mari qui aurait dû l’avoir », rapporte-t-elle.
Des Marocains embauchés dans les années 1970
En quête de main-d’œuvre dans les années 1970, la SNCF a recruté près de 2000 Marocains. Ces travailleurs ont été embauchés comme contractuels (avec un CDI de droit privé). Concrètement, ils ne relevaient pas du statut particulier, et plus avantageux, des cheminots.
« Quand j’ai quitté ma ville natale en 1971, Médiouna, dans la banlieue de Casablanca, on nous avait promis des contrats comme les Français, avait expliqué au Parisien-Aujoud’hui en FranceBouchaïb, 65 ans . Il y avait un accord entre le Maroc et la France. Certains sont partis à Montbéliard (Doubs) dans une usine Peugeot, d’autres chez SIMCA à Poissy (Yvelines) ou dans les mines du Nord. Moi, je savais lire, on m’a envoyé à la SNCF. Je ne savais même pas que c’était une compagnie ferroviaire. »
Des doutes au début des années 1980
Bouchaïb a passé quarante-trois ans, à pousser des wagons de marchandises au triage d’Achères (Yvelines), par tous les temps, de nuit comme de jour, puis à remiser les trains à la gare Saint-Lazare (Paris, VIIIe), avant de finir à l’affichage des trains et au nettoyage de la gare après avoir failli perdre la vie.
Au début des années 1980, des Chibanis commencent à se plaindre à leur hiérarchie. « Quand on a vu les jeunes qu’on avait formés devenir nos chefs, on s’est posé des questions, raconte Bouchaïb. Nous, les Marocains, on ne pouvait même pas passer les examens. Des syndicalistes CGT ont menacé de faire grève si on passait les diplômes», a poursuivi Bouchaïb. La CFDT puis Sud Rail ont ensuite porté leur combat.
«Des amis sont morts avant cette victoire»
A leur départ à la retraite, les Chibanis ont amèrement constaté l’écart avec leurs collègues français. « Je suis parti avec 1 100 € par mois de pension, deux fois moins que les cheminots français. » Pour ce préjudice, Bouchaïb devrait toucher 258 000 €. «Je vais me faire plaisir, faire plaisir à mes enfants et si c’est possible, acheter un petit studio à Paris. C’est une reconnaissance. Mon honneur est sauf. » expliquait-il en février lors de la victoire en appel de 848 Chibanis. C’est désormais confirmé. Seul regret : «Des amis sont morts avant cette victoire ».