
Alors qu’Ottawa a déjà rapatrié des milliers de ressortissants coincés au Maroc, Rabat n’a toujours pas l’intention de rapatrier ses ressortissants coincés au Canada.
(Radio Canada) - C’était à la mi-mars. La pandémie de COVID-19 prenait brusquement une dimension planétaire. De nombreux pays se coupaient du monde pour tenter de freiner la propagation du virus. Parmi eux, le Maroc. Trois mois plus tard, le Royaume chérifien n’a toujours pas rouvert ses frontières, même pour ses propres ressortissants, qui se retrouvent coincés à l’étranger.
Au printemps, les images chaotiques de l’aéroport de Casablanca avaient rapidement fait le tour du monde. On y voyait des centaines de touristes, notamment canadiens, exiger d’être rapatriés après la fermeture soudaine des frontières marocaines.
Il s’en est suivi une importante opération de rapatriement destinée à vider le Royaume de ses visiteurs — du jamais-vu dans ce pays qui dépend fortement du tourisme. C’est ainsi que le Canada a réussi à faciliter le retour de quelque 2300 citoyens depuis mars.
Si ces vols étaient remplis de touristes soulagés à leur arrivée à Montréal, les voyages vers Casablanca se faisaient sans passagers. Car, contrairement au Canada qui a choisi de rapatrier ses ressortissants, le Maroc a laissé les siens à l’étranger. Une décision guidée par l’urgence du moment, qui a néanmoins plongé quelque 30 000 personnes dans l’incertitude.
Un autre vol pour les Canadiens coincés?
Dans un courriel à Radio-Canada, Affaires mondiales indique être en discussion avec les autorités marocaines pour organiser un nouveau vol de rapatriement pour les Canadiens toujours coincés au Maroc. Il s’agirait du quatrième vol direct facilité par les autorités canadiennes.
"Dans ma valise, je n’avais que des vêtements chauds, aucun habit d’été. Donc vous pouvez comprendre mon état", lance Rita Malhouf en éclatant de rire. Malgré son périple abracadabrant des derniers mois, la jeune Casablancaise insiste pour garder le moral.
Rita était venue rendre visite à sa sœur et à ses nièces à Montréal. Arrivée en janvier, elle devait repartir le 16 mars. Trois mois plus tard, elle est toujours bloquée, sans date de retour au pays. Des vacances forcées dont l’architecte se serait volontiers passée.
Tout ça joue énormément sur mon entreprise et sur mes projets. À cause de cette crise sanitaire et de la fermeture des frontières, j’ai perdu plusieurs projets que j’ai dû déléguer, explique Rita d’un ton plus grave.
J’ai un ami à Bangkok, j’ai des amis en Inde, des amis coincés un peu partout dans le monde qui eux aussi n’ont aucune nouvelle par rapport à un rapatriement.
Il ne faut pas aller jusqu’à Bangkok pour trouver d’autres Marocains dans une situation semblable. Toujours à Montréal, Fatima Zahra Ayoub El-Idrissi vit un calvaire similaire.
Sa mère Fatiha, âgée de 55 ans, est venue au Canada pour assister à son accouchement. Son avion a atterri à l’aéroport Pierre Elliot Trudeau le 13 mars. La même journée, on a tout fermé, rappelle tristement sa fille.
Depuis, Fatiha compte les jours dans un appartement de LaSalle, en attendant des réponses du consulat. Au Maroc, son mari et sa fille de 16 ans sont rongés par l'inquiétude.
Elle est super déprimée. Elle ne sort pas de sa chambre, elle veut juste avoir une date ou une réponse, savoir quand elle pourra rentrer, déplore sa fille. Fatima Zahra s’inquiète aussi pour la santé de sa mère, qui manque de médicaments et n’a pas accès à un médecin au Canada.
On ne peut rien faire, on n’a personne à qui parler. On se sent mal, on se sent délaissés.
Fatima Zahra Ayoub El Idrissi, fille d’une Marocaine coincée à Montréal
Un rapatriement au compte-gouttes
Après des mois de silence, les autorités marocaines ont récemment clarifié leur stratégie de rapatriement progressif. Trente vols doivent prochainement être affrétés pour rapatrier quelque 4600 Marocains bloqués dans 17 pays, surtout en Europe.
Le Canada ne figure pas sur cette liste. Impossible, donc, de savoir quand les Marocains coincés ici seront rapatriés. L’ambassade du Maroc à Ottawa a pour sa part refusé notre demande d’entrevue.
Pour le politologue spécialiste du Maroc Frédéric Vairel, la décision de Rabat de fermer ses frontières s’imposait étant donné la précarité du système de santé marocain.
Ces mesures visaient très clairement à empêcher qu’il y ait une quelconque "vague" et à protéger la population dans son ensemble.
Frédéric Vairel, professeur à l'Université d'Ottawa
Si cette décision a pu sembler cohérente à l’époque, l’expert note tout de même quelques ratés. Pour rapatrier les 500 Marocains qui étaient en Turquie, c’était l’affaire de trois vols. Pourquoi ces vols n’ont-ils pas été organisés plus tôt?, illustre-t-il.
Le professeur remarque par ailleurs que la détresse vécue par les Marocains bloqués à l’étranger est semblable à celle des Canadiens coincés hors des frontières. Le sentiment d’abandon, d’être mis au ban de la communauté nationale est le même, fait-il valoir.
Rita Malhouf, elle, ne fait pas grand cas de son statut d’exilée. L’architecte veut seulement une date de retour.
Si je dois m’installer au Canada pendant toute une année, je peux m’adapter. Mais j'ai besoin de le savoir, plaide-t-elle.
Yasmine Mehdi (Radio Canada)