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Canada-Maroc. Privés d’élections et de rentrée scolaire : le long calvaire des binationaux bloqués dans le royaume

Malgré le vent de contestation, la suspension des liaisons aériennes directes entre le Maroc et le Canada a été prolongée jusqu’au 29 octobre. Si certains binationaux ont réussi à regagner leur pays de résidence – après un périple long et coûteux –, d’autres demeurent coincés dans le royaume, privés de fait de leurs droits civiques et éducatifs. La revue marocaine Tel Quel raconte "le long calvaire" des MRE du Canada.

(Tel Quel) - Au lendemain des élections fédérales qui se sont tenues lundi 20 septembre au Canada, beaucoup de Marocains sont amers. Non pas à cause des résultats – qui ont permis au Premier ministre Justin Trudeau de conserver la majorité relative –, mais plutôt parce qu’ils n’y ont pas pris part.

“On se sent comme des citoyens de seconde zone. On nous a privés de notre droit de vote”, dénonce Karima Chaffai. Cette Canado-Marocaine, entrepreneuse dont les trois enfants sont nés au Québec où elle est installée depuis plus de vingt ans, est toujours coincée dans le domicile de sa mère à Casablanca.

Voilà près de quatre semaines que le pays à la feuille d’érable a suspendu les vols directs avec le royaume. Transports Canada (le ministère fédéral) a annoncé la nouvelle le 28 août à midi, et dès minuit les liaisons aériennes ont été interrompues pour un mois. Ceux qui veulent rentrer chez eux doivent donc passer par un pays tiers et y réaliser un test négatif au nouveau coronavirus.

Drastique, la mesure a été prise pour protéger “la santé et la sécurité des Canadiens”, selon l’Agence de la santé publique du Canada. D’après certaines sources, des fraudes sur les dépistages de la Covid-19 auraient eu lieu au Maroc, mais Ottawa n’a pas confirmé cette allégation.

“Déprimée de ne pas avoir pu voter”

“On n’est pas juste une centaine dans cette situation, mais bien entre 11 000 ou 12 000 personnes ! Et on nous dit que notre vote n’est pas important”, renchérit Karima. Parce que le délai entre l’annonce d’Ottawa et la suspension effective était trop court, les binationaux bloqués outre-Atlantique n’ont pas pu accomplir leur devoir civique par anticipation ou en préparant une procuration.

“Ma fille est déprimée de ne pas avoir pu voter. Ça l’a choquée et elle ne se sent plus canadienne”, témoigne Karima Chaffai. La jeune femme en question devait commencer sa dernière année de Cégep – collège d’enseignement général et professionnel que les Canadiens doivent suivre entre les études secondaires et l’université –, mais son établissement l’a informé que si elle ne revenait pas le plus tôt possible sa participation à la session de septembre serait annulée. “Elle n’a plus d’école avant janvier, alors elle va rester au Maroc encore un peu”, regrette sa mère.

Le dilemme du retour

Partie pour un mois – après cinq ans sans que les enfants voient leurs proches restés au pays –, la famille Chaffai devait revenir largement avant la rentrée scolaire. La décision des autorités canadiennes a tout chamboulé.

À la tête d’une équipe de plusieurs personnes, le père n’avait d’autre choix que de revenir au plus vite dans sa nation de résidence. À la mi-septembre, il a fait le trajet avec leur garçon de 17 ans pour que ce dernier ait une chance de s’inscrire au Cégep. Ils ont dû passer par les États-Unis, engendrant près de 2 000 dollars de frais supplémentaires.

“Mon mari m’a déconseillée de faire pareil mais je n’ai pas le choix, j’ai dû avancer mon retour aussi”, se désole Karima. À côté de son entreprise d’entretien ménager, la matriarche est aussi étudiante en éducation spécialisée. Elle doit rentrer le 26 septembre, via New York, pour ne pas manquer un stage obligatoire. Son petit dernier de 10 ans sera avec elle. Même s’il n’a pas pu recevoir des cours à distance “car ils doivent assumer d’être partis en vacances”, lui pourra reprendre l’école sans problème.

Recours collectif

Face à cette situation, nombreux sont ceux qui manifestent leur indignation sur les réseaux sociaux, auprès de leurs élus ou à travers des protestations de rue. Pour le moment, personne n’a obtenu de réponse de la part de ses représentants politiques et rien n’a changé.

Pour faire bouger les lignes, l’avocate Nawal Benrouayene a initié un recours collectif contre Transports Canada. Elle et ses trois enfants ont eux aussi été paniqués à l’annonce de la suspension. La femme de loi conteste non pas la décision de faire cesser toute liaison directe, mais bien le délai extrêmement court qui a été laissé aux ressortissants canadiens pour réagir. Elle réclame 4 000 dollars d’indemnités pour les billets d’avion additionnels et pour les dommages causés.

D’une durée initiale d’un mois, la contrainte a été reconduite jusqu’au vendredi 29 octobre. Diaspora a questionné Santé Canada et l’ambassade à Rabat, sans bénéficier jusqu’à présent d’aucune réponse. “La majorité des individus bloqués au Maroc proposent des solutions pour rétablir les vols tout en garantissant ‘la santé et la sécurité’ des passagers”, assure Karima Chaffai, très impliquée dans la communauté marocaine au Canada.

L’Agence de la santé publique dit avoir transféré notre demande au ministère des Affaires mondiales. Le 30 août, le département royal de la Santé du Maroc a de son côté pris certaines dispositions pour lutter contre les faux tests. Reste à savoir si cela sera suffisant pour rassurer le nouveau gouvernement canadien.

Source, ici

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