
Ancienne enseignante à Rouen et désormais inspectrice de l’Éducation nationale en Espagne, Mina Fadli a publié son premier roman, en octobre 2022, « Le goût de la terre », sur l’enquête menée pour retrouver le frère de son père. Une plongée captivante dans son histoire familiale.
(Paris Normandie) - C’était un matin de 2010, dans la cuisine de ses parents à Val-de-Reuil. L’odeur du café à la cannelle. La douceur acidulée des quartiers d’orange. Et soudain, en pleine discussion avec son père, une demande de sa part. Retrouver son frère disparu depuis des années. Mina Fadli découvre ce passé familial. « À cet instant, j’ai appris que mon père avait un petit frère. Il ne racontait pas beaucoup de choses sur sa vie. Il était un émigré marocain. Quand il est arrivé en France, il ne fallait pas se faire remarquer. Il s’est conformé aux attentes de la société. »
Aucune trace de photos, pas d’état civil. La langue berbère ne se transmet qu’à l’oral. Mina Fadli part de rien. Elle s’appuie sur les souvenirs de son père. Parole longtemps tue. Par pudeur. « Mon père s’est livré au fur et à mesure ». Petite histoire par petite histoire. Elle l’écrit dans son roman « Le goût de la terre » : « C’est dur de le faire parler, il fait partie d’une génération de taiseux. »
« Je voulais lui apporter une réponse »
Mina Fadli se plonge dans le Maroc d’après guerre. L’histoire de son père mêle colonisation et indépendance du pays. Famine et exil. Elle se rend plusieurs fois au Maroc. Recueille la parole de sa grand-mère maternelle. « Elle se souvenait de tout, elle m’a raconté beaucoup de choses de cette période. » Comprend que son père et son frère, originaires de Tagadirt, petit village perché dans les montagnes du Haut Atlas, ont été séparés pendant leur enfance. Leur mère ne pouvant plus les assumer.
Lorsque la maladie d’Alzheimer est diagnostiquée à son père, Mina Fadli accélère son enquête. « Ça m’a mis un coup d’accélérateur. Je voulais lui apporter une réponse. Je suis retournée au bled. J’ai enregistré ma grand-mère. Ses mots m’ont marquée. J’ai aussi beaucoup lu sur l’histoire du Maroc. » Elle compile une mine d’informations. L’idée d’en faire un livre lui vient naturellement. Elle s’y attelle, à chaque répit que lui laisse sa vie professionnelle. Elle met deux ans à l’écrire. De ce long cheminement, elle n’est pas ressortie indemne. « J’ai beaucoup appris sur la culture du Maroc et sur moi-même. » Les liens familiaux ont été renforcés.
Encore l’espoir
La fin du livre est romancée. Son oncle qu’elle retrouve aux États-Unis, les retrouvailles avec son frère à Casablanca. Un épilogue qu’elle aurait espéré réel. Le frère de son père reste introuvable. « Il me manquait trop de choses pour le retrouver. »
Léger goût d’inachevé. « J’aurais voulu répondre à mon père. À défaut je ramène ce livre, c’est la seule réponse que j’ai trouvée. » À ce père, diminué par la maladie, elle a lu les premières pages. Puis s’est arrêtée. « Quand je lui lisais les passages sur son village dans la montagne, c’était trop douloureux pour lui de revivre tout ça. »
Dans les remerciements, elle a glissé une phrase. Pour son oncle. S’il se reconnaît dans son récit, qu’il la contacte. « Je ne sais pas si j’ai encore l’espoir. Mais j’ai envie de garder cette petite étincelle. »
Jérémy CHATET (Paris Normandie)