
Le Consulat général du Maroc à Strasbourg a organisé, le vendredi 4 décembre 2020, une conférence-débat sur le thème « Le harcèlement : ce que dit la Loi française ». Maître Kaoutare Choukour, avocate auprès du tribunal de Strasbourg, était invitée pour débattre du sujet avec les participants autour d’un thé marocain.
Maglor a rencontré les deux personnes à l’origine de cette initiative, le Consul et l’avocate, pour leur poser quelques questions qui précisent le cadre de cette manifestation qui, malheureusement, a été limitée à un nombre réduit de participants en raison des règles de sécurité sanitaire liée au Covid-19.
Driss El Kaissi, Consul : "C'est une initiative collective de la communauté marocaine locale"
Maglor : On s'attend davantage à ce qu'un consulat intervienne sur des problèmes administratifs ou de représentation des intérêts de ses ressortissants. Pourquoi avoir programmé une conférence sur le harcèlement organisée par le consulat.
Driss El Kaissi : La question mérite effectivement d’être posée, car on n’attend pas un consulat sur ce genre de questions. Mais, il faut reconnaître que le Consulat général du Maroc à Strasbourg, à l’instar des autres représentations consulaires dans le monde, fait déjà beaucoup sur les questions administratives qui relèvent de son cœur de métier. Ainsi, on diffuse des vidéos sur la page du consulat pour expliquer les démarches administratives importantes comme la procuration, le divorce et bien sûr l’obtention ou le renouvellement de pièces administratives. Une vidéo d’information sur le mariage est en cour de préparation. Bref, on travaille déjà beaucoup sur la communication de ces informations.
L’information sur des sujets sociétaux relève aussi de notre mission. Il ne faut pas oublier qu’une ambassade ou un consulat représente le pays dans ses différentes composantes, donc dans ses différents ministères. Le consul a donc aussi la charge sur le territoire qui lui est confié de représenter le ministère chargé des questions sociales.
Pourquoi avoir choisi le sujet du harcèlement ? Tout simplement parce qu’il fait partie des besoins de la communauté marocaine du Grand Est, comme partout dans le monde. J’ai été contacté récemment par une association féministe venue m’alerter sur différentes formes de harcèlement. Cette association précisait alors que ce sont surtout des femmes qui portent le foulard qui sont agressées dans les espaces publics.
Ce sujet m’a préoccupé et je l’ai gardé en tête. Un peu plus tard, une avocate strasbourgeoise d’origine marocaine est venue me voir pour un tout autre sujet. Dans la conversation, je lui ai fait part de la préoccupation soulevée par l’association féminine, préoccupation qui était devenue la mienne. C’est comme cela qu’est née l’idée d’une conférence organisée par le Consulat avec la participation de l’avocate.
La conférence avec Maître Kaoutare Choukouri est donc une initiative de l’ensemble de la communauté marocaine à Strasbourg et pas la mienne : une demande d’une association féminine, un consulat qui s’en préoccupe, une avocate qui propose ses compétences et des Marocaines qui assistent à l’événement. C’est un événement créé par la communauté pour la communauté ! Je suis fier de cette initiative qui traduit l’intelligence collective des Marocains et Marocaines du Grand Est.
Maglor : Envisagez-vous d'aborder d'autres sujets de société dans les conférences - débat que le Consulat peut organiser ? Si oui, quels sujets ?
Driss El Kaissi : Ma réponse sera directe : oui, d’autres sujets sociétaux seront traités. Mais je n’aime pas trop l’intitulé de conférence, car je ne veux pas de monologue avec un expert qui expose son savoir. Je veux qu’il y ait un débat. C’est pourquoi la conférence sur le harcèlement n’a duré à proprement dit que 15 minutes, le temps d’introduire le sujet. Les deux heures suivantes ont été consacrées au dialogue, au débat contradictoire, à une interaction entre les participant(e)s.
Pour moi et mes collaborateurs, le plus important c’est de donner parole à la communauté, sachant que ceux qui ont assisté était en majorité des leaders d’opinion notamment des président(e)s d’associations, et on compte sur eux pour faire passer le message.
On aurait bien aimé que toute la communauté puisse assister, mais à cause de la situation sanitaire –Covid 19- on a limité le nombre de participants à 30 personnes. Mais bon, il y aura encore plus de sujets à débattre, dont le prochain portera sur le Covid-19, et qui est programmé pour le 21 décembre. Ce sera le Professeur Samira Fafi-Kremer, virologue à l’université et au CHU de Strasbourg, qui sera avec nous et c’est elle qui fera la présentation d’introduction.
Me Kaoutare Choukouri, avocate : "Il n'y a pas de particularité maghrébine dans l'expression du harcèlement. Elle existe toutefois dans les réponses apportées"
Maglor : Le harcèlement est devenu un sujet d'actualité récurrente en France. Il est donc logique de le traiter constamment auprès du public. Mais pourquoi avoir ciblé plus particulièrement la communauté marocaine de Strasbourg et de l'est de la France ? Y-a-t-il une spécificité locale ?
Me Choukouri : Non, il n’y a pas de spécificités locales par rapport au harcèlement des femmes. Par contre, en accord avec Monsieur le Consul, il nous était apparu utile et intéressant d’informer la communauté marocaine locale de ses droits et de la sensibiliser à ce sujet qui, comme vous l’avez dit, est non seulement d’actualité, mais aussi d’une grande complexité.
Maglor : Selon vous, le harcèlement touche-t-il plus particulièrement ou de manière plus spécifique la communauté maghrébine vivant en France ? Y-a-t-il un lien possible entre discriminations, racisme et harcèlement ?
Me Choukouri : Je ne sais pas si le harcèlement est plus fréquent dans la communauté maghrébine vivant en France. Il faudrait pouvoir disposer de statistiques comparatives pour pouvoir évoquer une telle spécificité éventuelle.
Au-delà des statistiques, on peut effectivement constater des liens entre discrimination, racisme et harcèlement. Il y des discriminations qui sont fondées sur le racisme et sur l’origine nationale des femmes. Le fait que la personne soit maghrébine ou d’origine supposée maghrébine peut suffire pour déclencher une situation de harcèlement.
Maglor : Avez-vous abordé lors de votre conférence la question du harcèlement intra-familial ? Si oui, comment abordez-vous la question des relations hommes-femmes dans la civilisation arabe et maghrébine ?
Me Choukouri : Oui j’ai traité du harcèlement au sein de la famille et notamment au sein du couple. Mais, j’aborde toujours cette question sans faire de distinction entre les cultures. J’en parle toujours de la même manière quelle que soit l’environnement civilisation où le harcèlement se produit.
Pour les comportements de harcèlement, il n’y a pas de particularité liée au fait que l’on soit dans le cadre de la civilisation arabe et maghrébine. Par contre, il y a lieu de préciser que les textes de loi applicables peuvent eux être différents en fonction du contexte national et qu’ils sont très souvent encore méconnus. La différence, s’il y en a une, tient aussi au fait que certaines pratiques de harcèlement sont plus ou moins acceptées ou tolérées par la société selon les milieux culturels. D’où l’intérêt de sensibiliser le public à cette question et de lui donner des outils de repérage et d’analyse des comportements de harcèlement dont elles peuvent être victimes. Mon objectif est d’informer les citoyens pour qu’ils puissent mettre des mots sur des situations de harcèlement et pour qu’ils sachent comment réagir.
Propos recueillis par Mohamed Labzoui (Maglor)
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