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Reprise des vols entre le Canada et le Maroc : un sentiment d’incompréhension et de gâchis

Après deux mois de suspension, les liaisons aériennes directes entre le Canada et le Maroc seront réautorisées à partir du vendredi 29 octobre. Pressés par des obligations multiples, nombreux sont les binationaux qui sont déjà rentrés. Ils confient à la revue Tel Quel leur sentiment d’abandon, reconsidérant les liens avec leur pays d’accueil.

(telquel.ma) - Le voyage de Selma Régragui au Maroc ne devait durer qu’un mois. L’occasion de profiter de ses proches dont elle a été trop longtemps séparée à cause de la pandémie. “Je voulais voir ma famille, retrouver la plage, le soleil, la nourriture, mais aussi constituer un réseau pour mon travail”, détaille cette directrice d’une agence de communication installée à Montréal depuis plus de dix ans.

Samedi 28 août en milieu de journée, le ministère fédéral des Transports annonce la suspension des liaisons aériennes directes entre le Maroc et le Canada. À partir du soir même, les personnes voulant rentrer doivent obligatoirement transiter par un pays tiers. Prise de court, Selma, qui devait décoller deux jours plus tard, décide d’attendre. Pour elle, ce n’est pas une question de prix, mais de peur. “Je me disais : si je décide de transiter par New York et que j’attrape la Covid-19, je fais comment ? Je ne connais personne là-bas”, se rappelle l’entrepreneure.

Fin septembre, Ottawa fait timidement savoir que la suspension est prolongée jusqu’au 29 octobre. La Canado-Marocaine n’a alors d’autre choix que de prendre le risque de rentrer via les États-Unis. “C’était trop. J’avais des responsabilités auprès de ma famille et de mon agence”, justifie celle qui a fini par retraverser l’Atlantique le 13 octobre.

“La situation s’améliore”

Jeudi 21 octobre, Transports Canada officialise la nouvelle tant attendue : “la situation qui s’améliore” permet au gouvernement fédéral de lever l’interdiction des vols en provenance du royaume. Dès vendredi 29 octobre, les voyageurs bloqués pourront directement retourner dans leur pays d’accueil, à condition de présenter un résultat négatif “documenté dans le certificat marocain de test PCR de dépistage de la COVID-19 et reconnu par la Commission européenne”.

Depuis deux mois, les autorités avancent seulement que c’est une augmentation du nombre de résultats positifs à l’arrivée sur le sol nord-américain qui a motivé cette interdiction drastique. Interrogés par Diaspora au sujet des données ayant motivé la reprise des vols, l’Agence de la santé publique et Transports Canada n’ont rien répondu. Tout juste la porte-parole de ce second département, Frederica Dupuis, déclare-t-elle que le ministère a “travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement du Maroc”.

Pour Selma Régragui, toutes ces décisions ne font aucun sens. “Quand je suis arrivée, on ne m’a pas demandé mes tests réalisés au Maroc et à New York”, rapporte-t-elle. La binationale affirme qu’une grande majorité de ses proches n’ont pas non plus eu à présenter leurs résultats de dépistage lors du débarquement. “Il fallait juste une preuve de vaccination complète”, précise-t-elle, effarée.

Stress financier et humain

Les conséquences ont été diverses et variées pour les résidents canadiens coincés au Maroc. “Des familles ont éclaté. Je suis en contact avec des gens qui ont de jeunes enfants qui sont traumatisés : ils n’ont rien fait comme les autres !”, s’exclame Selma Régragui, dénonçant les stress financier et humain que la suspension a engendrés.

De son côté, Abdelhak Boussayri était en vacances à Marrakech avec sa femme lorsque le couperet est tombé. “Je n’ai pas paniqué. Je pensais : si c’est le Canada qui a compliqué la situation, c’est à lui de trouver des solutions”, explique celui qui travaille pour un média communautaire. Lui aussi devait prendre l’avion au tout début de septembre. Son retour a finalement été beaucoup plus compliqué que prévu…

“Étant donné la façon dont le Canada avait réagi avec les vols venant d’Inde, je savais que la mesure allait être prolongée”, complète-t-il. Il a fini par rentrer le 25 octobre, via Washington. Une solution coûteuse. “J’ai pu changer mon billet sans frais mais j’ai dû acheter un nouveau ticket entre les États-Unis et Montréal, sans compter les suppléments bagages et les autres dépenses pour vivre”, développe-il. Toutes ses connaissances ont fini par partir avant que les liaisons soient officiellement rétablies.

Déconsidération

Comme beaucoup d’autres, Selma Régragui s’est sentie abandonnée par son deuxième pays. “Je n’ai plus confiance, j’ai un sentiment d’insécurité incroyable. Avant, je me disais que je mourrais au Canada. Après ce qui s’est passé, j’ai des doutes”, confie-t-elle. Elle regrette surtout de n’avoir pu voter lors des élections fédérales : “Cette année, je ne suis pas citoyenne.”

Déçue, elle s’est jointe au recours collectif initié contre Transports Canada par l’avocate Nawal Benrouayene. Questionnée sur cette action et sur l’éventualité d’un dédommagement financier, la porte-parole du ministère concerné s’est contenté de réénoncer les informations contenues dans le communiqué du 22 octobre.

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