
Sa double culture, la place des Marocains résidant à l’étranger (MRE) dans la société française, sa vision de la laïcité, son avis sur les restrictions de visas : Sarah El Haïry, actuelle secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement dans le gouvernement de Jean Castex, s'est confiée à Tel Quel - Diaspora.
(Tel Quel) - Le Maroc me manque toujours.” Née en 1989 à Romorantin-Lanthenay, dans le Loir-et-Cher (centre-ouest de la France), Sarah El Haïry assure garder “un lien très fort” avec le pays de ses origines. Il faut dire que le divorce de ses parents l’a très vite menée à Rabat, la ville de ses grands-parents maternels. Puis sont venues les années collège, à Mohammédia, et le baccalauréat, au lycée Lyautey de Casablanca.
À son retour dans l’Hexagone pour entamer son cursus universitaire, les débuts sont difficiles. Sa famille, restée au Maroc, lui manque. La jeune femme se lance alors dans des études de droit, s’intéressant très vite à la politique. Militante jusqu’en 2010 au sein de l’Union pour un mouvement populaire (UMP, droite), elle adhère ensuite au Mouvement démocrate (MoDem, centre), dont elle gravit les échelons dans le département de Loire-Atlantique (Ouest). Tour à tour députée, porte-parole du parti et conseillère municipale de la ville de Nantes, Sarah El Haïry est finalement nommée, le 26 juillet 2020, secrétaire d’État en charge de la Jeunesse et de l’Engagement auprès du ministre de l’Éducation nationale.
Rentrée quelques jours avant notre entretien d’Essaouira, où elle était partie accueillir les concurrentes de la 30e édition du Rallye Aïcha des gazelles – auquel elle “rêve de participer depuis l’adolescence” –, la ministre affirme retourner au Maroc “dès que [son] emploi du temps le permet”.
Diaspora : Que vos années passées au Maroc ont-elles apporté à votre carrière professionnelle et politique ? Être une Marocaine de la diaspora en France a-t-il été un atout ?
Sarah El Haïry : Pour moi, c’est une vraie chance. C’est très important de connaître le pays de ses parents, de le comprendre. Je suis un mélange des deux cultures : née en France, j’ai hérité de l’histoire familiale, j’ai vécu au Maroc, j’ai appris l’arabe littéraire et la darija.
J’ai la chance d’avoir des parents très engagés dans le monde associatif. Avec le Lions Club, dans lequel ma mère était bénévole, j’ai participé à des caravanes médicales, on a monté des bibliothèques… J’ai aussi découvert le pays comme ça. J’ai vu ses capacités. Il n’y a pas, pour moi, de plus belle manière de se construire.
Quand je suis rentrée en France, j’étais fière de ces moments vécus. D’autant plus que le Maroc brasse de nombreuses nationalités : je l’ai vu au lycée Lyautey où j’avais des camarades sud-américains, allemands, français… C’était un bouillonnement de cultures. Grâce à cela, on ne regarde pas le monde de la même manière. C’est comme ça que j’ai grandi.
Vous êtes-vous déjà impliquée, ou envisagez-vous de le faire, dans le soutien des Marocains installés en France ? En tant que secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, est-ce inscrit à votre agenda ?
On peut s’intéresser au sujet de plusieurs manières. J’ai par exemple accueilli au début du mois d’octobre une délégation de l’association des énarques étrangers dans laquelle il y avait trois Marocains. C’est intéressant de voir comment ces derniers transmettent à d’autres jeunes, en France ou ailleurs, ce qu’ils ont appris à l’ENA. Mon autre mission, c’est d’accompagner tout le réseau de l’AEFE [Agence pour l’enseignement français à l’étranger]. À ce titre, je vais par exemple assister dans les mois qui viennent au centenaire du lycée Lyautey.
Au-delà de ces évènements, une de mes premières fiertés aujourd’hui, et cela compte beaucoup pour moi, c’est la grande transformation qu’est en train de vivre le Maroc sur le plan démocratique. C’est un signal que le royaume envoie au monde : les extrémistes ont été battus par les urnes, et le peuple marocain a élu des femmes à la tête des plus grandes villes. Ça, pour moi, c’est extrêmement important. Cela montre que la démocratie est une force de transformation dans toutes les sociétés, quelles qu’elles soient. C’est une nouvelle étape pour le pays, que je cite d’ailleurs souvent en exemple quand j’échange à propos du monde arabo-musulman.
D’après vous, cela peut-il aider à valoriser les jeunes MRE en France ?
Bien sûr. C’est un réel progrès, une magnifique étape. Quand on voit que les partis extrémistes sont mis de côté au profit d’un mouvement plutôt centriste, indépendant et extrêmement ouvert, c’est bénéfique à tous car cela va dans le sens de l’expression des plus jeunes populations. Mon travail, c’est de permettre ensuite qu’il y ait des mobilités, des rencontres entre tous.
Vous êtes très active dans la défense de la laïcité. Sur cette question, ne pensez-vous pas qu’il existe un écart générationnel ? Des études montrent en effet que les plus jeunes ont aujourd’hui une autre vision que celle que vous défendez…
C’est vrai. Et plus les individus sont jeunes, plus l’écart est important. Mais je ne crois pas que celui-ci s’explique par des conceptions différentes du vivre-ensemble. À mon sens, il existe parce que pendant trop longtemps nous n’avons pas suffisamment défini ce qu’était la laïcité. Nous n’avons pas pris le temps d’expliquer pourquoi elle existait. La laïcité, ce n’est pas le refus de la foi. C’est le fait que la foi n’ait pas sa place dans le droit.
Pendant dix ans, plus personne ne l’a ni défendue, ni expliquée. C’était quelque chose d’acquis. C’est une réalité que le Maroc a vécue aussi. Il y a des mouvements islamistes qui essaient de pousser vers les extrêmes, d’alimenter les haines. Cela n’aide pas la jeunesse à se construire. Bien au contraire, cela attise les divisions.
Avec Jean-Michel Blanquer [actuel ministre de l’Éducation nationale], nous nous efforçons donc de réexpliquer aux jeunes ce qu’est la laïcité. Durant le Service national universel [SNU, dispositif amené à se substituer à terme à la Journée défense et citoyenneté, ex-JAPD], des jeunes qui ne se seraient jamais croisés en dehors se rencontrent et parlent, y compris de leurs différences. Et ils comprennent que ce qui les unit est plus fort encore que leur pratique exclusive de la religion. Cette mission incombe à toute personne ayant autorité, que ce soit à l’école, dans la famille ou au sein des associations.
Comment avez-vous réagi à l’annonce de la réduction drastique du nombre de visas accordés par la France aux ressortissants maghrébins, y compris marocains ?
Cette décision découle de longs échanges qu’il y a eus entre le Maroc et la France. Elle a été prise mais elle est réversible, elle pourrait changer si les bonnes pratiques relatives à la délivrance des laissez-passer consulaires reviennent. Le Maroc et la France sont des pays amis. Leurs histoires sont liées. La question des visas est un sujet diplomatique entre les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur des deux pays. Personnellement, je suis convaincue que tout reviendra très vite à la normale. En aucun cas cela ne doit abîmer l’amitié qui unit ces deux pays et leurs peuples.