Au Maroc, la spoliation immobilière est un fléau qui a mené plusieurs familles, majoritairement des Marocains résidant à l’étranger (MRE), devant la justice pendant de nombreuses années. Beaucoup se sont vus retirer leurs biens, du jour au lendemain, sans pourvoir être réhabilités dans leurs droits. C’est pourquoi, l’Association pour le droit et la justice au Maroc (ADJM) œuvre au quotidien pour sensibiliser l’opinion publique à cette problématique, en espérant trouver des solutions aux familles délestées de leurs biens.
Yabiladi a rencontré Moussa Elkhal, conseiller juridique de l’association, pour faire un bilan des affaires en cours.
En quoi consiste la spoliation immobilière ?
La spoliation consiste en le fait de s’accaparer des biens de personnes avec des faux. Dans le temps du Far West, c’était venir, assassiner et prendre. Aujourd’hui, il y a tout un processus qui s’établit par des faux et au bout d’un moment, ces faux donnent un vrai droit. Ils privent les réels propriétaires de leurs biens. Aujourd’hui malheureusement, l’ampleur est intarissable et la fosse des victimes est pleine.
Justement, qui sont ces victimes ?
En majorité, ce sont des Marocains résidant à l’étranger (MRE), parce qu’ils ne sont pas souvent là. Donc, en leur absence, on peut s’accaparer leurs biens. Au moment où ils s’aperçoivent que ces derniers sont spoliés, ça devient un grand labyrinthe, des voyages interminables. Au bout d’un moment, par dépit, on abandonne. Ce sont majoritairement des MRE, mais ce sont aussi des Français qui résidaient au Maroc, des Marocains qui résident ici, comme le fameux cas Fayçal Kimia, spolié chez lui dans une maison où il est né, où il a grandi, où il s’est marié, où ses enfants sont nés. Aujourd’hui, il vit chez une personne qui réside en prison, malheureusement.
Beaucoup d’actions en justice sont menées, plusieurs associations, dont la vôtre, ont été constituées et vous avez d’ailleurs organisé une conférence, le 5 avril, pour sensibiliser les pouvoirs publics sur cette problématique-là. Pouvez-vous faire un point là-dessus ?
Aucune victime n’a retrouvé son droit, malheureusement. Sur papier, oui. Mais vous savez que les procédures durent et coûtent cher. Dans certains dossiers, nous sommes à plus de 60 reports d’audience. Lorsque vous connaissez le prix pour un MRE de venir de France, de Belgique ou d’Allemagne, prendre un avion, garer sa voiture dans le parking, manquer son travail pour assister à une audience finalement reportée et rebelotte, on repart… J’ai calculé pour moi-même que l’ensemble de ces audiences et les allers-retours à cet effet revient à un minimum de 20 00 euros. C’est irrécupérable.
L’espoir donc, nous l’avons eu avec la lettre royale. Je ne vous cache pas que nous étions tous heureux et on s’est dit que les victimes allaient enfin retrouver leurs biens assez rapidement. Malheureusement, on s’aperçoit que ça va faire bientôt deux ans et que nous sommes toujours au même point.
Dire qu’il n’y a pas d’avancées serait un mensonge. Celle-ci sont d’ordre juridique. Dorénavant, les procurations ne pourront être faites que devant un notaire ou un avocat agréé près la Cour de cassation. Tout cela viendra compliquer la tâche aux spoliateurs, actuels et futurs.
Mais pour les anciennes spoliations, les victimes sont là. Ce qui m’attriste le plus, c’est qu’on veuille amenuiser le rôle et le nombre de ces personnes laisées. Elles se comptent par milliers et je m’aperçois qu’on est au même constat de dire qu’il n’y en a pas tant que ça. Sa majesté rendra justice à ces victimes car personnellement, c’est en lui que je crois et c’est par conviction que je le dis.
Une lettre royale intimait l’ordre à la justice et aux pouvoirs publics de rendre justice à ces victimes qui ont mené les affaires auprès des tribunaux. Où résident les facteurs de blocage, entre la justice et le gouvernement ?
Ils sont de plusieurs ordres. Vous imaginez que cinq ou six personnes qui se trouvent en prison ont pu faire un massacre dans le Maroc de 2018. Vous imaginez que cela veut dire que nos institutions ne sont pas assez solides et assez compétentes pour stopper un mal organisé par une petite mafia. Le problème existe quelque part, ce n’est pas à moi de faire le constat, ce n’est pas à moi de trouver la solution. Cependant, je veux bien m’impliquer avec les institutionnels, puisque ce sont nous-même qui organisons les rencontres, qui allons les voir, qui communiquons. Ce sont nous qui faisons les efforts. D’ailleurs à ce titre, je les ai tous invités et ils ont tous reçu en main propre l’invitation.
Le ministère des Marocains résidant à l’étranger a brillé par son absence, alors que nous nous sommes déplacés de France pour l’inviter ; le CCME aussi. Ces deux institutions existent pour venir en aide aux MRE. On a organisé un grand événement pour lui montrer ces victimes qui souffrent mais il n’est pas venu. Je peux vous assurer que certaines victimes ne sont pas loin de la folie, de la dépression. Cela provoque des séparations de familles entières. Je pense que les institutionnels qui représentent ces MRE sont loin d’être compétents. S’ils ferment les yeux, c’est plus grave.
Vous avez envoyé un courrier pour pointer du doigt les graves failles de ces institutions censées représenter les MRE et défendre leurs intérêts. Pouvez-vous nous en parler ?
Je vais commencer par parler des choses qui marchent. Au sein de ces institutions, il existe des personnes très compétentes et nobles, qui font bien leur travail. Il existe une petite minorité qui empêche la machine de tourner correctement. Il faut du courage pour les dénoncer et les mettre hors d’état de nuire, parce qu’ils causent des dégâts considérables.
Nous pensions que ces ministères de tutelle, censés apporter soutien et conseil aux MRE, allaient le faire justement. Mais lorsqu’on vient jusqu’à eux, ils répondent par leur absence. Je trouve cela lamentable.
Il y a eu un problème institutionnel qui a aggravé la situation, fin 2011 : Un article de loi est passé en catimini, accordant la prescription pour tout acte d’écriture sur les titres fonciers. Il y a eu une montée au créneau de la part de votre association, des familles des victimes. Où en sommes-nous dans cette loi et êtes vous d’accord avec sa version réécrite ?
Quand j’ai lu cette loi, je me suis rendu compte du tollé. Un bien immobilier a une prescription de quatre ans. C’est une loi cynique et spoliatrice. Elle a été votée par une minorité de députés, ce qui n’est, à mon sens, pas démocratique. La loi a été votée à une heure tardive, aux alentours de 22 heures. Elle protège l’acheteur de bonne foi. Sauf que dans les dossiers que nous traitons, l’acheteur de bonne foi se trouve être le fils, la fille ou l’épouse du spoliateur. Je ne comprends pas du tout cette loi. Lorsque vous vendez quelque chose qui ne vous appartient pas, l’opération devient caduque. Par conséquent, cette loi qui cherche à protéger l’acheteur de bonne foi est à mon sens anticonstitutionnelle.
Vouloir s’entêter à la garder avec du rafistolage est une absurdité. Ce qu’il est encore plus grave, c’est qu’une commission anti-spoliation a été créée suite à la lettre royale. J’y ai été invité une seule fois. Ses membres auraient dû tenir compte de la proposition que nous leur avons faite. On aurait pu avancer plus rapidement.
Quel est l’état d’esprit actuel des familles des victimes que vous représentez ? Ont-elles de l’espoir ?
Lorsque vous êtes âgé, il n’y a aucun espoir alors que vous êtes malade, que vos moyens financiers sont amenuisés avec le temps, après une bataille de 10, 15 ou 20 ans et que ceux qui se trouvent en face de vous pratiquent pourtant des métiers nobles. Forcément, vous n’avez plus d’espoir. Notre espoir était la lettre royale et aujourd’hui, nous souhaitons que le roi Mohammed VI convoque tous ces gens pour les mettre face à leurs responsabilités.
Source : Yabiladi