Partager sur :

À Fès, une affaire éclaire les dérives de l’enseignement privé

À Fès, une affaire révélée au sein d’un établissement scolaire privé situé dans le quartier de Champs de Course a récemment mis en lumière les profondes carences de gouvernance dans certaines institutions de l’enseignement privé marocain. L’événement, d’apparence locale, résonne pourtant comme un signal d’alarme national, soulevant des interrogations fondamentales sur les mécanismes de régulation, le respect des droits des enseignants et la véritable nature de certaines écoles prétendument engagées dans une mission éducative.

Le litige naît d’un manquement aussi brutal qu’édifiant : le refus, par la direction de l’établissement en question, de verser le salaire du mois de juin à plusieurs enseignants ayant assuré l’ensemble de l’année scolaire. Un geste qualifié d’« injuste » et d’« anti-professionnel » par les intéressés, qui, à travers leurs témoignages, décrivent une situation d’abandon moral et matériel, dans un contexte économique où chaque échéance financière revêt un caractère vital. En dépit de cet impayé, l’école a poursuivi sans interruption l’encaissement des frais de scolarité auprès des familles, capitalisant sur l’effort pédagogique consenti par un personnel désormais relégué au rang de variable d’ajustement budgétaire.

La direction, sollicitée par les enseignants, n’a proposé qu’une solution partielle : le versement immédiat de la moitié des montants dus, le solde étant repoussé à la fin septembre. Une offre perçue comme un affront à leur dignité et unanimement rejetée. Pour faire valoir leurs droits, les enseignants ont saisi un commissaire de justice, notifiant à l’établissement une mise en demeure de trois jours, sous peine de recours judiciaire. Une démarche inédite, révélatrice d’un changement de ton : le temps du silence résigné semble céder la place à une parole revendicative, portée par une profession trop longtemps reléguée dans l’ombre.

Cette affaire pose, avec une acuité particulière, la question du contrôle exercé par les autorités compétentes – direction provinciale et académie régionale – sur des institutions pourtant soumises à des obligations réglementaires. Comment expliquer qu’un établissement n’ayant pas encore bouclé sa deuxième année d’existence sous licence officielle puisse impunément manquer à ses engagements contractuels ? Et pourquoi ces manquements ne suscitent-ils pas de réaction immédiate de la part des organes de tutelle, censés garantir un minimum de respect envers les professionnels de l’enseignement ?

Derrière ce cas précis se profile une réalité plus large, celle d’un secteur où de nombreux enseignants du privé subissent une précarité persistante, en dépit de leur rôle déterminant dans la formation de générations entières. Un secteur où l’appât du gain de certains investisseurs, étrangers à toute vocation éducative, transforme l’école en entreprise commerciale, au mépris de la mission de transmission qui fonde le métier d’enseignant. À juste titre, des voix s’élèvent pour dénoncer cette logique de rentabilité déshumanisée, qui traite les enseignants comme des sous-traitants corvéables à merci.

Loin d’être un fait isolé, ce litige  appelle une réponse ferme des autorités éducatives. Car si l’école privée peut constituer un levier précieux pour renforcer le système national, sa crédibilité reste conditionnée au respect d’une éthique élémentaire. Faute de quoi, c’est toute la confiance du public envers cette composante de l’édifice scolaire qui risque de s’effriter.

Il appartient désormais à l’administration de dire si elle entend jouer son rôle de garant des équilibres et des droits. À défaut, les salles de classe ne seront plus que les théâtres d’un malaise rampant, où l’on enseigne sans reconnaissance et où l’on apprend dans un climat d’injustice silencieuse.

Langue
Français
Région
Fez - Meknès
Partager sur :