
Les Palestiniennes ont, pendant des siècles, été les fers de lance de la lutte par le chant. Et la récente génération d’artistes féminines travaille dur pour sauvegarder cette richesse, préservant l’héritage des générations à venir.
Pour les Palestiniens, la première Intifada à la fin des années 1980 s’est accompagnée d’un renouveau et d’une documentation des chansons folkloriques. Il y avait une certaine volonté de rassembler le patrimoine folklorique disséminé qui avait été largement oublié, pillé, détruit ou perdu au fil des ans.
L’esprit de communauté, l’unité et la résistance qui ont balayé le peuple palestinien lors du soulèvement en mai dernier ressemblaient à l’état d’esprit de la première Intifada, alors que des séquences vidéo et des chansons de cette période ont commencé à fleurir sur les réseaux sociaux.
L’une des chansons qui a refait surface après l’évasion historique de six détenus palestiniens de la prison de Gilboa en septembre est Tarwideh Shmaali, qu’on peut traduire par « chant du nord » ou « hymne de l’amant ».
Sur les réseaux sociaux, des personnalités telles que Subhi Taha de Sbieh.jpg ont replacé cette chanson dans la culture populaire palestinienne.
Chanson d’amour à l’origine, Tarwideh Shmaali évoque la nostalgie suscitée par l’éloignement d’un être cher :
Le vent de la maison vient du nord, du nord
Au nord, leurs portes s’ouvrent
Ce soir, j’enverrai [un message] avec le vent du nord
Il cherchera les êtres chers et les atteindra, yaba [ô père]
Notre exil a duré trop longtemps et ils nous manquent
Ô oiseau, va trouver nos êtres chers et dis-leur
Dis-leur de chercher ceux qui leur sont liés
Et salue mon bien-aimé quand tu leur rendras visite
Si les chercheurs ne sont pas unanimes quant aux origines de la chanson, qui remonteraient à l’Empire ottoman ou britannique, les Palestiniens lui attribuent souvent un caractère de résistance car elle porte en elle les histoires et les expériences de femmes communiquant avec leurs hommes opprimés.
Préserver la culture par la musique
Dans son livre de 1966 Literature of Resistance in Occupied Palestine 1948-1966, le regretté écrivain palestinien Ghassan Kanafani explique que le peuple palestinien et la culture populaire ont préservé la culture locale indigène via l’oral. Cela concernait spécifiquement la poésie, la littérature et la narration.
Mais il y avait toujours des chansons folkloriques. Ces morceaux étaient intégrés aux grandes occasions comme les mariages, les circoncisions, la construction de maisons, les récoltes ou les occasions politiques et mémorables. Avant comme après la Nakba en 1948, la musique était l’activité sociale rassembleuse par excellence, mais reflétait aussi les systèmes de pouvoir.
Ce que l’on oublie souvent, c’est la délimitation explicite du folklore palestinien, largement préservé par des chanteuses et conteuses, souvent déracinées de leurs villages et dont les noms pourraient désormais être voués à l’oubli.
Chercheur, écrivain et membre de la compagnie de danse populaire El-Funoun, Anas Abu Oun se souvient que Tarwideh Shmaali a été révélée par 40 heures d’enregistrements écoutés aux premières heures d’un matin d’automne en 2013 avec le compositeur et musicien jordanien Tariq an-Nasser et d’autres chercheurs et musiciens.
Le groupe s’était réuni pour écouter des heures d’enregistrements conservés aux archives sonores El-Funoun à Ramallah, afin de sélectionner des chansons enregistrées pour des compositions qui feraient partie de leur prochain album Zajel.
La voix distincte d’une femme âgée dans cette version, enregistrée dans la première moitié des années 1990, résonnait avec une parfaite clarté, chantant l’amour et le désir pour un être cher au nord de la patrie.
La chanteuse, Oum Munther, était une Palestinienne du village cisjordanien de Kobar dont la voix allait être immortalisée dans l’album Zajel d’El-Funoun en 2014.
Les origines et l’évolution du tarwideh
Il est difficile de déterminer d’où vient cette chanson, bien qu’elle remonte très probablement à la fin de l’Empire ottoman/début du mandat britannique sur la Palestine.
L’historien et pédagogue palestinien Abdul Latif al-Barghouthi décrit le tarwideh dans son livre de 1979 Arab Folk Songs in Palestine and Jordan comme « des chansons tristes, pleines de larmes et de deuil ».
Souvent défini à tort comme un genre, le « tarwideh » signifie simplement « chanson » dans le registre familier, explique la chanteuse Sanaa Moussa.
« La première fois que j’ai entendu ce mot, c’était lors de mon travail de terrain avec des femmes en Galilée en 2004 qui appelaient simplement les chansons “tarwideh” », rapporte la chanteuse palestinienne à Middle East Eye.
Sanaa Moussa avait entrepris de se plonger dans un héritage de chansons rarement évoquées, tout en travaillant sur la musique de son album de 2016, Ishraq Reminiscence, dans lequel elle a incorporé les chansons et sons d’une génération de femmes qui ont connu la Nakba.
Inspirée par une chanson que sa grand-mère lui chantait quand elle était enfant, elle a voulu savoir si d’autres femmes connaissaient ces chansons ou si elles étaient un cas particulier dans la mémoire de sa grand-mère.
Le riche répertoire qu’elle a découvert était principalement chanté dans des contextes exclusivement féminins pendant les mariages, les récoltes ou en allant à la source ou à la rivière chercher de l’eau, ou encore en faisant la lessive. Mais il était également utilisé pour marquer les joies, les naissances, les révolutions et les départs.
Le départ des hommes dans ces chansons était principalement lié à la conscription obligatoire des Palestiniens dans l’armée ottomane. Ceux qui sont partis ont rarement été revus, ce qui a engendré la composition de chansons larmoyantes regorgeant de lamentations.
Au cours des 400 ans de domination ottomane, certains genres de chansons ont évolué, comme ceux sur les « farariyye » (transfuges) qui ont fui la conscription obligatoire dans les armées ottomanes.
La plus populaire de ces chansons est la chanson folklorique, Masha’al, telle que décrite dans l’album de Rim Banna, The Mirrors of My Soul. L’emblématique chanteuse palestinienne expliquait dans l’album que Masha’al était un beau jeune homme palestinien ayant échappé à la mobilisation ottomane de Safar Barlik pendant la période de guerre de 1913-1918 et qui était grandement admiré par le peuple palestinien.
Les soldats ottomans le capturèrent et l’exécutèrent, mais les femmes chantèrent cette chanson pour garder vivantes sa mémoire et son histoire.