
À partir d’une enquête d’Ariane Chemin, comment un certain Félix Mora a recruté en masse de jeunes Marocains pour les mines du Nord et de Lorraine. Une autre histoire de la France et de l’immigration, racontée par ses acteurs. "Mora veut, Mora a !"
Dans ce film, le réalisateur Frédéric Laffont fait témoigner d’anciens mineurs recrutés au Maroc dans les années 1960-1980 pour travailler dans des mines de Lorraine et du nord de la France. Vu sur Arte à 22 h 45, mercredi 31 août.
« Je suis venu avec Mora. » Ce sont les premiers mots de Lahcen Tighanimine à sa fille Mariame, sociologue - c’est elle qui guide le film, traduit les paroles recueillies et porte la voix off en français et en berbère -, qui l’interroge sur son parcours d’immigré dont le destin fut scellé un jour de 1963 à Taliouine, au Maroc. Cet hiver-là, Félix Mora, chef de la main-d’œuvre des Houillères, sillonne les villages du Souss. Comme partout ailleurs dans le royaume, les jeunes, pour la plupart fils de paysans, se précipitent, candidats à l’exil attirés par le mirage d’une vie qu’ils espèrent meilleure qu’au bled. Dans les années 1960-70, loin, très loin du Sud marocain, les mines du Pas-de-Calais et de Lorraine peinent à trouver des volontaires pour descendre au fond. Particulièrement dur, le travail est aussi mal payé. D’où ce recrutement au cœur de l’ancien protectorat.
80 000 Marocains recrutés pour le Nord et la Lorraine
Ancien militaire, l’agent recruteur des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais examine et palpe les corps. Lahcen Tighanimine (ainsi rebaptisé du nom de son village), Hammou Chakouk et les autres attendent avec anxiété son verdict : tampon vert sur les torses nus, l’espoir d’argent pour la famille et la fierté ; rouge, le retour au bled et la honte. Mora aurait ainsi recruté plus de 80 000 mineurs pour le Nord et la Lorraine.
Après deux jours et trois nuits à fond de cale, dans les entrailles du paquebot Lyautey, le débarquement à Marseille est suivi du transfert, avant la descente dans les galeries de poussière noire, aux côtés d’Italiens, d’Espagnols et de Polonais, mieux payés.
À la fermeture des mines dans les années 1980, les "Mora" découvrent les chaînes des usines automobiles Renault et Peugeot, ouvriers d’une France industrielle déclinant au crépuscule des Trente Glorieuses. Vient le temps du regroupement familial, des naissances et des cités qui achève de les convaincre de rester… Le choix d’un destin
"T’es pas contente d’être ici ?"
À sa fille Mariame, sociologue, qui l’interroge sur la violence de la méthode du "négrier des Houillères", Lahcen Tighanimine répond simplement : "T’es pas contente d’être ici ?" Lucides et enjoués, ces retraités racontent sans nostalgie leur épopée industrieuse, loin des arganiers et des palmiers-dattiers de l’Atlas, et le choix d’un destin : "On a pensé à la vie devant nous…" Devenus pères et grands-pères de centaines de milliers de Français, les anciens mineurs, touchants, témoignent avec précision et sans pathos. À rebours des débats identitaires empoisonnés, leur récit, au présent, dessine tout en nuances une histoire de France et de l’immigration méconnue, entre travail, exploitation, dignité, rêves accomplis et mémoire, et montre combien la traversée de la Méditerranée revêt, aujourd'hui comme hier, une dimension mythologique.