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Le rap marocain à la conquête du monde

Cantonné au Maroc jusqu’au milieu des années 2010, le rap marocain a su se hisser sur la scène planétaire. Codes empruntés à la musique internationale, héritage des mélodies locales : c’est ce savant mélange qui le rend unique, selon Tel Quel. L’hebdomadaire raconte comment les artistes marocains entendent faire de leur modèle le rap de demain.

(Tel Quel) - Oxmo Puccino n’est pas près d’oublier son concert à L’Boulevard en 2018. Ce [20 septembre], ce vétéran du rap français se produisait aux côtés de Shayfeen, Madd et El Grande Toto sur la scène principale du festival casablancais.

Une occasion pour lui de découvrir la nouvelle scène marocaine. “J’ai vu le public reprendre les paroles avec le cœur et c’est quelque chose que l’on peut voir dans les moments où les gens ont besoin d’un cri, d’une voix. Ce sont des moments forts”, nous confiait-il en janvier 2020, en marge de son concert à l’Institut français de Casablanca.

Cette force, le rap marocain la doit essentiellement aux “mélodies et aux toplines (mélodie d’un refrain ou d’un couplet réalisée à partir d’une instrumentale qui existe déjà, ndlr), qui sont d’égal à égal avec le reste du monde, insiste Oxmo Puccino. Il n’y a plus de frontières, plus de limites techniques, donc tout le monde peut s’exprimer à sa juste valeur.” Et ça, les rappeurs marocains l’ont très bien compris.

“Au même niveau que le rap français”

“Le rap marocain, sur le plan de la qualité, est au même niveau que le rap français, lance d’emblée Mehdi Maïzi, journaliste rap de référence en France, aujourd’hui à la tête du département Hip-hop de la plateforme de streaming Apple Music dans l’Hexagone. “Une fois qu’on dépasse la potentielle barrière de la langue, c’est le même rap. Il n’y a plus de différences entre les scènes, Internet a fait exploser tout ça, et nous avons tous accès à la même musique, aux mêmes machines et outils”, poursuit-il.

Hakeem Erajai, manager d’artistes urbains, confirme :

Le rap marocain était à l’image de ce qui se faisait ailleurs, c’est-à-dire qu’il était essentiellement fondé sur des textes dans la langue maternelle, la ‘darija’ en l’occurrence. La barrière de la langue le cantonnait alors à une écoute et une consommation locales.

Vers la moitié des années 2010, la tendance mondiale du rap semble privilégier les mélodies au texte. Une aubaine pour les rappeurs marocains qui, lassés par la léthargie de l’industrie musicale locale, peuvent enfin voir leurs tubes écoutés de l’autre côté de la Méditerranée. Le 20 mars 2016, le public français est initié au rap marocain grâce à la collaboration entre le chanteur français d’origine marocaine Lartiste et le rappeur marocain 7Liwa sur le morceau Gonzales (27 millions de vues sur YouTube).

Pourtant, c’est le morceau Wach Kayn Maydar, du duo safiote Shayfeen, diffusé près d’un an plus tard, qui parvient à franchir le cap. “Il y a eu un vrai tournant après la sortie de ce morceau-là, qui a été particulièrement relayé par la presse française, se souvient Narjes Bahhar, journaliste française d’origine marocaine spécialisée dans le rap, aujourd’hui responsable éditoriale à Deezer France.

Enfin, la reconnaissance

Parmi ces médias, le site de l’émission Clique, animée par Mouloud Achour et produite par Canal +, consacre un article au morceau en titrant “Le rap marocain tient-il son nouvel hymne ?” “Dès lors, on a senti qu’il y avait quelque chose qui commençait à se dessiner, poursuit Narjes Bahhar.

En 2017, la naissance du collectif Naar (“Feu”), sur fond d’une triste affaire de plagiat opposant le photographe marocain Ilyes Griyeb et le rappeur britannique Skepta [le second avait utilisé les photos du premier sans le créditer], change définitivement la donne. “Naar a créé un vrai projet de collaboration, avec un très joli casting, analyse Mehdi Maïzi. Même s’il n’a pas eu un succès foudroyant, ce projet a le mérite d’avoir mis sous les projecteurs la force de la scène marocaine.”

Un intérêt qui tape également dans l’œil des rappeurs français. “Plusieurs d’entre eux se sont dit : ‘Mais, en fait, les Marocains sont super chauds, on ne les avait pas vus venir’”, explique la journaliste Narjes Bahhar. Objectif atteint pour le collectif Naar. “C’était ça notre mission : contribuer à exporter le rap marocain”, se félicite aujourd’hui Mohamed Sqalli, directeur créatif et cofondateur du collectif.

Vers le reste du monde

Le 13 septembre 2019, le collectif sort son premier album, Safar (“Voyage”), dans lequel des artistes séparés par la Méditerranée rappent sur des beats mêlant sonorités marocaines et mondiales. “C’est un album complètement tourné vers l’étranger, avec des collaborations internationales, et des prises de parole médiatiques tournées, elles aussi, vers l’international”, résume Mohamed Sqalli.

En témoigne la diffusion en avant-première, sur le site de la prestigieuse revue musicale américaine The Fader, de l’excellent premier single du projet, Money Call, une collaboration entre Shobee, Madd et Laylow, qui comptabilise aujourd’hui plus de 9 millions de vues sur YouTube. “Outre le côté artistique avec l’album ‘Safar’, tout le projet a été conçu comme une campagne de communication autour du rap marocain, comme si on était l’Office national du tourisme du rap marocain”, sourit Sqalli.

El Grande Toto, précurseur

“Il y a la volonté de conquérir le marché de la francophonie, et je pense que c’est possible, décrypte Mehdi Maïzi. Aux États-Unis, on a eu des morceaux de reggaeton en espagnol qui ont cartonné.”

Narjes Bahhar, elle, aime à croire que “c’est possible d’avoir un artiste qui rapperait en ‘darija’ et qui deviendrait une rap star en France”. En attendant, Mehdi Maïzi estime que le défi actuel est “d’arrêter de parler de ‘rap marocain’ en France ou ailleurs et d’appeler désormais les rappeurs marocains par leur nom d’artiste. El Grande Toto est peut-être le premier rappeur capable d’imposer ça.” Une brèche est ouverte.

Houssam Hatim

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