Partager sur :

Les artistes d'art moderne et contemporain du Maghreb et du Moyen-Orient sont à Menart Fair (Paris)

Menart Fair est la foire internationale d'art moderne et contemporain, dédiée aux artistes du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, sélectionnés par des galeries incontournables. Cette année, une place de choix est réservée à l'Ecole de Casablanca, mouvement d'art contemporain des années 1960-1970.

(L'illustration de couverture est une oeuvre de Mohamed Melehi)

Les artistes présentés sont du Moyen-Orient (Liban, Syrie, Palestine, Jordanie, Irak, Turquie), des pays du Golfe (Iran, Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn, Qatar, Émirats Arabes Unis, Oman, Yémen) et d'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte).

Unique en Occident, cette manifestation présente une scène artistique en plein essor, dont la production dense et forte est aujourd'hui soutenue par de nombreux musées et institutions de renom.

Pour cette deuxième édition à Paris, du 19 au 22 mai 2022, une vingtaine de galeries internationales sont réunies pendant quatre jours dans l'hôtel particulier de Cornette de Saint Cyr, situé au centre de Paris.

La Menart Fair reprend donc ses quartiers dans l’hôtel particulier de la maison Cornette de Saint-Cyr pour une 2e édition, du 19 au 22 mai. Ce mercredi en fin d’après-midi, à la veille de l’ouverture au public, on accroche les dernières toiles aux murs, on vérifie l’horizontalité des cimaises, on colle les étiquettes sous les oeuvres.

« Comment comprendre le contemporain si on ne retourne pas aux sources de la modernité avec toutes des influences qui traversent les artistes du monde arabe » explique Laure d’Hauteville, la directrice de la foire, à Arab News en français. Nous avons demandé à chaque galerie de nous exposer un, deux ou trois artistes de la modernité du pays d'où elles viennent. »

L'école de Casablanca

Cette modernité sera aussi mise à l’honneur à travers une exposition spécifique consacrée à l’école de Casablanca. En 1962, l’artiste Farid Belkahia (1934-2014) est nommé directeur de l’école des Beaux-arts de Casablanca. Avec un groupe d’artistes et enseignants, Mohamed Melehi (1936-2020), Mohamed Chabâa (1935-2013) et Mohamed Hamidi (1941) il cherche à restructurer les bases pédagogiques de l’enseignement artistique. Ensemble, ils réinvestissent le patrimoine artistique populaire et traditionnel du Maroc, en introduisant les pratiques artisanales traditionnelles au sein de l’établissement, avec l’utilisation de matériaux comme le cuir, le métal et les pigments naturels, et le retour à l’attraction géométrique et aux signes et symboles berbères, arabo-musulmans et africains.

Mouvement à la recherche d’une modernité artistique et culturelle propre au Maroc, l’école de Casablanca défie l’institution et l’histoire de l’art euro-centrée. « C’est la première fois que à Paris que seront exposés ces six artistes de la modernité marocaine. Ce sont des œuvres absolument extraordinaires, choisies par la commissaire Fadia Antar. »  

En savoir plus

L’École de Casablanca, une modernité assumée

(Olympe Lemut -Le Journal des Arts) - Comment inventer une modernité artistique marocaine ? Question centrale pour les fondateurs de l’École de Casablanca dans les années 1960-1970, sur fond de préoccupations sociales et politiques. Formés au Maroc et en Europe (Paris, Rome, Madrid), les peintres Farid Belkahia, Mohamed Melehi et Mohamed Chabâa constituent la future « École de Casablanca » : le groupe prend ce nom en 1962 quand Belkahia revient au Maroc et devient directeur de l’École des beaux-arts de la ville.

Au début, le trio reste attaché aux modernités européennes et à leur support principal, la peinture sur toile. En 1967, la rupture est consommée et Mohamed Chabâa peut écrire « la peinture de chevalet et de salon ne nous concerne plus ». C’est dans la culture marocaine traditionnelle que les artistes puisent les éléments qui vont régénérer l’art au Maroc, du point de vue formel (abstraction géométrique) et technique (cuir, métal). Selon Françoise Cohen, directrice de l’Institut du monde arabe (IMA)-Tourcoing, l’École de Casablanca a cherché, plutôt qu’à créer une modernité ex nihilo, à « recréer une continuité avec les arts vernaculaires ». Bijoux berbères, céramiques à motifs géométriques et tapis du Haut Atlas fournissent la matrice de cette modernité : elle s’incarne dans les « vagues colorées » de Melehi, les tableaux en relief de cuir de Belkahia et les compositions pop de Chabâa. Le trio ne s’enferme pas dans une nostalgie passéiste et utilise tous les moyens à sa disposition, comme la peinture au pistolet, les adhésifs plastique et les plaques d’aluminium.

En parallèle de leur activité artistique, les peintres ouvrent à l’École des beaux-arts des ateliers de photographie, d’architecture, de calligraphie, pour un cursus complet où se côtoient arts plastiques et arts graphiques. Les chercheurs Toni Maraini et Bert Flint y créent en outre un cycle d’enseignement en histoire de l’art et publient la revue Maghreb Art (1966-1969) où s’affirme une pensée en action. Parmi ces actions se trouve la célèbre exposition de mai 1969 à Marrakech sur la place Jemaa el-Fna : en réaction à un Salon de peinture organisé par l’État, l’École de Casablanca expose ses œuvres en plein air, au milieu du marché… La chercheuse Maud Houssais y voit « un marqueur »à la fois pour les expositions indépendantes et une reconquête de l’espace public au Maroc. Cette réflexion sur la place de l’art aboutira au festival culturel d’Asilah (au nord du Maroc) fondé en 1978 par Melehi, où la peinture prend la forme de fresques réalisées sur les murs des maisons.

Ces artistes ont donc utilisé « tous les supports possibles », comme le souligne Françoise Cohen, ils ont aussi créé « des agences de graphisme» et ont connu « de longues carrières professionnelles ». Ils ont été beaucoup exposés à l’étranger dans les années 1960-1970, en raison de leur engagement politique : ils défendaient en effet le panarabisme, les Palestiniens, et les pays « non alignés », d’où leur participation à diverses manifestations artistiques de Bagdad à Alger. Ce lien entre art et politique explique sans doute que leur œuvre a été progressivement oubliée, car les idéaux politiques qui la sous-tendaient ont perdu de leur pertinence. Cette modernité marocaine bénéficie aujourd’hui d’un regain d’intérêt. Le Centre Pompidou annonce d’ailleurs une rétrospective « Farid Belkahia » (décédé en 2014) pour novembre 2020.

Partager sur :