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« Majnoun et Leïli » en BD, l’amour à la vie à la mort

Avec sa bande dessinée « Majnoun et Leïli – Chants d’outre tombe », Yann Damezin adapte en toute liberté et en alexandrins l’une des plus belles histoires d’amour du monde arabe. Une réussite graphique et littéraire.

Les histoires d’amour finissent mal. Celle qui unit depuis le VIIe siècle Qays ibn al-Mullawwah et Layla al-Amiriyya n’échappe malheureusement pas, pour les deux amants, à cette règle tragique. D’abord propagée par les bédouins arabes d’Irak, Majnoun Leïla (littéralement « Le Fou de Leïla ») a inspiré depuis de nombreux auteurs, dans le monde arabe et bien au-delà.

Qaïs et Leïli sont deux amants éperdument amoureux. Si amoureux que le jeune homme, incapable de contenir sa passion, la chante à tous les vents avec tant de ferveur qu’il reçoit le surnom de « Majnoun  » (le fou). Très vite, sa réputation le précède, si bien que le père de Leïli refuse de donner la main de sa fille à ce personnage si extravagant.

Brisé, le poète se laisse dépérir, chantant sans cesse son amour perdu. Tel Orphée, ses paroles apaisent le cœur des désœuvrés et celui des animaux les plus féroces qui, bientôt, le suivent en cortège. Leïli, quant à elle, se lamente sur sa condition de femme assujettie, qui ne peut même pas, à la différence de son amant, laisser éclater publiquement son désarroi !

Peiné, le père de Leïli décide de la marier à un jeune homme « respectable » qui saura, lui, la rendre heureuse. Assistant au mariage, Majnoun périt de tristesse. Le charme de ses chants rompu, la fureur des animaux sauvages qui formaient son cortège reprend de plus belle et ces derniers dévorent son corps. Repus de ses chairs, tous entonnent l’ultime chant du poète, conjurant sa belle à le rejoindre dans la mort…

Yann Damezin revisite en alexandrins cette histoire d’amour impossible qui a inspiré les plus grands poètes orientaux.

S’affranchissant de toute règle tout en restant fidèle à l’esprit du conte, Yann Damezin se permet aussi de livrer une interprétation personnelle – moderne, féministe peut-être – de l’histoire. Ainsi Leïli n’est pas condamnée à demeurer seulement l’objet de l’amour de Majnoun. Quand celui-ci lui demande de la rejoindre dans la mort, elle lui oppose un refus tendre mais catégorique.

« Mais quant à ta demande… il me faut refuser / Je ne me tuerai pas, je mourrai dans longtemps / Je sais qu’il me faudra un jour agoniser… / Mais je veux transformer cet hiver en printemps / Pour apprendre à mourir, il faut bien une vie ! / J’ai des années encore afin d’y parvenir, / Oublier la rancœur, la colère et l’envie / Alors ils adviendra ce qui doit advenir. » Et c’est sans doute avec cette infidélité au récit initial que Yann Damezin lui rend le plus bel hommage.

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