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Maglor - Le Sénat examine ce jeudi 20 février une proposition de loi portée par le sénateur centriste Stéphane Demilly, visant à interdire le mariage aux personnes en situation irrégulière sur le territoire français. Si le texte venait à être adopté par les deux chambres du Parlement, il pourrait toutefois être censuré par le Conseil constitutionnel, compte tenu de sa jurisprudence protectrice de la liberté du mariage.
Une liberté fondamentale protégée par la Constitution
En France, la liberté du mariage est reconnue comme une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Actuellement, le Code civil prévoit quatre restrictions au mariage :
1. L'interdiction du mariage des mineurs, sauf dispense du procureur de la République.
2. L'interdiction de la polygamie.
3. L'interdiction des mariages entre membres d'une même famille proche.
4. L'exigence du consentement des deux fiancés, interdisant ainsi les mariages de complaisance.
Le statut administratif des futurs époux ne figure donc pas parmi les critères pouvant justifier une opposition à une union. Un maire refusant de célébrer un mariage sur cette base s'expose à une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Un texte visant à combler une "faille législative"
Les partisans de cette proposition de loi considèrent qu'il existe une "faille législative" qui permettrait des mariages de complaisance entre ressortissants français et étrangers en situation irrégulière. Le texte introduirait donc une cinquième condition restrictive : l'impossibilité de se marier pour toute personne en situation irrégulière.
Le contrôle de la situation administrative des futurs mariés serait confié aux officiers d'état civil, sous la supervision du procureur de la République. Celui-ci aurait la possibilité de suspendre ou d'interdire une union s'il constate que l'un des fiancés ne possède pas de titre de séjour valide.
Un risque élevé de censure par le Conseil constitutionnel
La proposition de loi se heurte cependant à un obstacle juridique majeur. En 2003, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré une disposition similaire prévue dans la "loi Sarkozy" sur l'immigration. Il avait estimé que l'irrégularité du séjour d'un étranger ne pouvait, à elle seule, justifier l'interdiction d'un mariage.
Selon le juriste Nicolas Hervieu, spécialiste des libertés fondamentales, la jurisprudence du Conseil est "très claire" sur ce point. Toute interdiction systématique du mariage en raison du statut administratif d'un individu serait considérée comme contraire à la Constitution, sauf en cas de révision constitutionnelle, ce qui semble peu probable à court terme.
Un avenir incertain pour le texte
Conscient des risques d'inconstitutionnalité, le Sénat pourrait rejeter la proposition ou l'amender de manière significative avant de la soumettre à l'Assemblée nationale. La commission des lois du Sénat n'a d'ailleurs pas adopté le texte en l'état, rappelant que seule une révision de la Constitution permettrait d'aller dans le sens souhaité par ses auteurs.
En l'absence d'une telle réforme, il est fort probable que le Conseil constitutionnel censure la loi si elle était adoptée, maintenant ainsi la protection du droit fondamental au mariage en France.