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Mohamed Hmoudane, poète marocain

À 20 ans, Mohamed Hmoudane, né à El Maâzize (Maroc), s’installe en France. Commence alors « un parcours de combattant » doublé d’une « quête poétique », sans complaisance ni concessions, où s’impose d’emblée une voix singulière et puissante. Son oeuvre est enfin rendue accessible à ses lecteurs marocains avec la publication d’un recueil au Maroc : Devenir (Éditions le Fennec).

Pour la première fois, les lecteurs marocains pourront lire dans son ensemble cette œuvre grave et profonde, de celui que le critique et écrivain Salim Jay qualifie justement de “poète sans négociation”.

Le texte poétique de Hmoudane est loin de correspondre à un genre littéraire bien codifié. Les limites entre la prose et la poésie sont sans cesse déstabilisées, genres et registres confondus dans un même geste subversif. La métaphore du feu et de la destruction parcourt les recueils et fonde une esthétique de la fulgurance, où le chant devient cri et renoue avec une tradition dionysiaque revendiquée.

Né en 1968 à El Maâzize, village du Maroc, Mohamed Hmoudane réside en France depuis 1989. Son œuvre, saluée par la critique, compte plusieurs ouvrages poétiques dont, notamment, Parole prise, parole donnée (La Différence, 2003) ainsi que deux romans French Dream et le Ciel, Hassan II et Maman France, parus respectivement en 2005 et 2010 aux Editions de la Différence.

Il publie son premier livre que Abdeellatif Laâbi qualifie d’ « étrange cérémonie de parole , tant les poèmes qui le composent semblaient jaillir de nulle part». Depuis, Mohamed Hmoudane ne cesse de défier les conventions. C’est dans Attentat que cette entreprise de « déconstruction » se fait la plus radicale. Dans le sillage tracé par Attentat, Hmoudane publie Incandescence et Blanche mécanique.

Témoin tour à tour impassible ou âme expansive, Mohamed Hmoudane ne cède pas au déni béat. Arpenteur infatigable des espaces, il nourrit l’ambition d’être au monde tel qu’il se dissipe, tel qu’il advient. Dès lors, les poèmes jaillissent fulgurants, flamboyants et réfléchis, dans le sillage des grandes œuvres urbaines.

Si elle en pilonne les fondations, cette poésie féroce et réfractaire exprime paradoxalement un désir irrépressible de ré-architecturer le monde. Telle guerre est déclarée à la langue et les mots entrent en collision avec le corps du poète, dans un duel impitoyable mais salutaire.

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Extraits

« Je ne sais pas enfin, quand je relis le mot destin qui s’est glissé sur la page un peu plus haut sans que je le pense réellement, si je dois fondre en sanglots ou rire aux éclats, sautant sottement en cognant ma tête contre le mur — le mieux serait d’alterner rires et larmes en grimaçant — tant ce mot est dans mon esprit associé à la grandeur, la gloire, l’immortalité. Il est inapproprié en fait de nommer destin une chienne de vie menée sans laisse au jour le jour, dont une grande partie est consumée dans des bars sordides — « trous à rats », « repaires de délinquants », « lieux d’insalubrité morale » — dans des boulots de merde, quand j’arrive à en dénicher un, à me débattre dans le vide, dans le vide…

Or, en écrivant, avec toute l’inquiétude qui accompagne un tel acte, tant il est grave, je ne fais peut-être que de la brouillonner davantage, quand je m’attends à l’élucider, entretenant l’illusion que je me la réapproprie en la magnifiant, c’est à dire justement en l’accomplissant en tant que destin, la traînant et la biffant dans la marche processionnelle des phrases.
Je ne me serais en effet assigné, de bout en bout, qu’une seule ambition : réussir le prodige d’être à la fois le marionnettiste et la marionnette, me travestissant jusqu’à ne plus me reconnaître. C’est qu’il s’agit — plus que de raconter, fût-ce par bribes, une vie — de tisser avec des lignes froides et détachées, comme l’araignée autophage sa toile, son propre linceul, puis partir brûler dans l’éclat irradiant des morts… » (Extrait de French Dream – La Différence, 2005)

 

« A Maman, je resterai redevable, autant qu’au ciel et à Hassan II, de tant de choses. A eux trois, ils forment dans un entrelacement indémêlable, une croix sacrée. Je la coulerais dans de l’or et la sertirais de pierres précieuses, si je le pouvais, afin qu’elle scintille de toute sa splendeur quand — pendue à mon cou, glaive incandescent incrusté en relief dans ma chair — elle fend mon torse.

Ainsi va-t-il sans dire que c’est à cette « Trinité tutélaire » que je dédie en quelque sorte ce livre, et c’est peu de chose. J’aurais en effet souhaité lui offrir mon corps et mon âme en oblation. Hélas, mille fois hélas, je suis faible, faillible et surtout très peu enclin à rendre grâce, bien comme il se doit, à mes bienfaiteurs. Je demeure malgré tout une racaille dans l’âme, un ingrat.
Pourtant, je dois reconnaître, du moins en ce qui concerne Maman, qu’elle reste, quoi que l’on dise, profondément bonne et généreuse. Même si elle se montre parfois acariâtre et sévère, elle ne vous châtie que pour vous entourer après de tant de soins. Elle vous dorlotera en vous réservant le meilleur d’elle-même. Il suffit juste que vous fassiez de petits efforts et vous gagnerez toute son estime et toute son affection. Gare à vous en revanche si vous entêtez à faire le vilain gamin, elle vous bannira. Et elle aura raison. Je sais de quoi je cause. Je suis passé par là…»
Extrait de Le Ciel, Hassan II et Maman France – La Différence, 2010

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