Le Collectif pour une nation refuge demande la mise en place d'une politique d'accueil digne de la France, conformément aux engagements présidentiels.
Le candidat Macron le déclarait lors de sa campagne présidentielle : «Un homme ou une femme qui demande asile en France, qui met sa vie en danger, s’est battu pour sa liberté et celle de sa famille est quelqu’un, en vertu de nos principes, qui doit être accueilli.» (1) Un discours qui, rappelons-le, faisait alors barrage au Front national.
Le projet de loi «asile et immigration», qui a été présenté mercredi 21 février en Conseil des ministres et qui sera discuté en commission à l’Assemblée nationale au mois de mars, est pourtant loin de cette philosophie. Aujourd’hui, si nous sommes en marche, c’est vers l’abolition du principe même de la demande d’asile en France et la fabrication massive d’une population sans statut, sans toit, sans droit et sans ressources sur notre sol.
Car aujourd’hui, nous sommes face à des femmes, des enfants et des hommes fuyant toutes sortes de tragédies. Si les personnes exilées sont certes plus nombreuses à venir chercher refuge parmi nous depuis l’été 2015, elles représentent cependant à peine 1 % de la population européenne. Nous n’assistons donc pas à une «crise migratoire», mais bien à une crise tragique de l’hospitalité, laquelle est pourtant, selon le Président Macron, «notre honneur et notre tradition» (2).
Les atrocités et les souffrances vécues par les personnes exilées ne s’arrêtent pas une fois les côtes européennes atteintes. Et alors qu’elles devraient trouver asile et répit une fois arrivées en France, elles sont, au contraire, souvent en butte à une maltraitance administrative et policière qui les amène à se cacher, où elles le peuvent, pour fuir encore et encore ce qu’elles pensaient désormais derrière elles.
Nous, habitants, citoyens, contribuables, électeurs, représentants associatifs de ce pays, qui croyons en nos valeurs héritées de la Révolution de 1789 et rappelées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, en notre histoire de résistance et en nos institutions, sommes horrifiés qu’une telle politique puisse être menée en notre nom aujourd’hui. Comment nos «principes» pourraient-ils être en accord avec un projet de loi qui conduira à l’enfermement en centre de rétention et à l’expulsion systématisée d’hommes, de femmes et d’enfants ayant déjà tellement souffert sur les routes de l’exil ? D’hommes et de femmes qui n’attendent de notre part que la reconnaissance de leurs souffrances, et de notre pays que sa protection, en vertu du droit international établi au sortir de la Seconde Guerre mondiale ?
Comment ne pas s’insurger quand une proposition de loi (3) est venue donner le pouvoir aux préfets d’enfermer avant expulser les demandeurs d’asile dits «dublinés» ? (4) Des hommes et des femmes dont le seul tort est d’avoir eu leurs empreintes digitales prises de force au cours de leur parcours d’exil – parfois dans des états où le nationalisme a déjà triomphé, et où l’on n’hésite pas à les réexpédier vers leur pays en guerre !
Nous avons cru que ces personnes trouveraient enfin, en France, «pays des droits de l’homme», des moyens pour se reconstruire. Nous y croyons encore. Mais le projet de loi «asile et immigration» organise au contraire la réduction des droits des demandeurs d’asile, limite leurs délais de recours et augmente la durée de leur rétention de façon à intensifier ces expulsions.
Cette politique est et sera onéreuse, inefficace et inhumaine, plongeant des êtres humains, des familles entières dans la clandestinité et dans une terrible précarité. Elle plonge la France dans la honte, celle d’être incapable d’honorer ses propres principes.
Nous, habitants, citoyens, contribuables, électeurs, représentants associatifs de ce pays, vous demandons de prendre les responsabilités que requiert le combat pour la dignité humaine. Ne participez pas à l’écriture de nouvelles pages de l’histoire que nous ne saurons expliquer à nos enfants. A notre échelle, nous avons, au quotidien, hébergé quelques personnes pour en laisser des centaines dehors, distribué quelques repas pour nous rendre compte que ce n’était pas encore suffisant, offert quelques tentes et sacs de couchage pour constater, au petit matin, leur destruction par la police. Pour de telles actions, certaines et certains d’entre nous se retrouvent devant les tribunaux car le délit de solidarité existe toujours dans la loi.
Nous vous demandons de prendre acte, à nos côtés, de cet enjeu politique et moral en rejetant le projet de loi «asile et immigration» et en entamant des discussions avec la société civile et les associations de terrain pour présenter une politique d’accueil digne de notre pays, conforme aux engagements du Président et non aux idées qu’il prétendait battre dans les urnes. Nous comptons sur vous.
(1) Débat télévisé du 20 mars 2017 minute 44’30.
(2) Emmanuel Macron: «Nous devons accueillir des réfugiés car c’est notre tradition et notre honneur.»
(4) Vidéo STOP DUBLIN.
Premiers signataires : Marie-France Alvarez, comédienne; Bally Bagayoko, maire adjoint à Saint-Denis ; Pierre-Emmanuel Barré, humoriste, chroniqueur, comédien ; Arno Bertina,écrivain ; Olivier Bordaçarre, écrivain ; François Brun, producteur ; Pierre Caillot, musicien ; Patrick Chamoiseau, écrivain ; Ludovic Delaherche, président de l’ICO club de France ; Emmanuelle Escourrou, comédienne, Marina Fois, actrice, Mata Gabin, actrice et écrivain;Sylvie Glissant, artiste plasticienne - Institut du tout monde ; Bun Hay Mean, humoriste ; Cédric Herrou, Défends ta citoyenneté! ; Laurent Jumeaucourt, comédien, Mathieu Kassovitz, comédien, réalisateur ; Samuel Légitimus, Collectif James Baldwin ; Denis Lemasson, écrivain; Lucie Lucas, comédienne; Madjid Messaoudene, élu FG à Saint-Denis; Maxime Motte, acteur; Marie Payen, actrice ; Sandra Regol, porte-parole EELV; Jean-François Rial, PDG du groupe Voyageur du monde ; Christophe Ruggia, cinéaste ; Isabelle Serro, reporter et réalisatrice; Jean-louis Tribes, comédien; Matthieu Tribes, réalisateur; Matthias Van Khache, comédien; Marie-Christine Vergiat, eurodéputée gauche européenne; Karin Viard, actrice; Zag & Sia, Street artistes…
La liste complète des signataires Sign the Petition
Que contient le projet de loi asile-immigration ?
Edouard Philippe devait présenter jeudi au monde associatif un texte qui inscrit la politique française dans une dissuasion migratoire systématique.
La trame de la loi asile-immigration, telle qu’elle a été communiquée aux associations et devait être présentée par le premier ministre Edouard Philippe jeudi 11 janvier au mondeassociatif, inscrit la politique française dans une dissuasion migratoire systématique. Le texte définitif, qui devrait être présenté en février en conseil des ministres, ne s’inscrit pas vraiment dans l’approche « mieux accueillir les réfugiés » et « mieux renvoyer » sur lequel le gouvernement communique, préférant le tout-répressif.
D’abord, le texte instaure une véritable course contre la montre pour le demandeur d’asile. Alors qu’il disposait jusqu’à présent de 120 jours pour déposer son dossier, désormais il n’aura plus que 90 jours pour le faire. De plus, un demandeur débouté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ne disposera ensuite que de deux semaines, au lieu d’un mois, pour déposer son recours. Deux points délicats, sachant qu’il faut aujourd’hui environ 30 jours ouvrés pour accéder à un rendez-vous en préfecture. Responsable du droit des étrangers au Secours catholique, Laurent Giovannoni regrette que rien ne soit proposé dans le texte pour réduire cette attente qui se passe sur les trottoirs. « On nous dit qu’on veut réduire les délais de la demande d’asile et on ne propose rien dans un projet de loi pour organiser mieux l’accueil dans les préfectures ! », s’insurge-t-il.
En fait, le ministère a prévu 150 postes de plus au budget 2018 pour les agents de préfectures, mais ils ont été absorbés par d’autres injonctions ministérielles et notamment la très lourde gestion des « dublinés », ces migrants qui voudraient demander l’asile en France, mais que l’on tente d’éloigner parce qu’ils ont laissé leurs empreintes ailleurs en Europe. « Un projet de loi qui se veut efficace devrait aussi aborder ce problème qui interroge tout le système. Mais le texte qu’on nous propose est un faux-semblant », ajoute M. Giovannoni, déçu.
« Une ligne plus dure que Nicolas Sarkozy »
Côté privation de liberté, les observateurs doutent aussi que la ligne choisie permette vraiment de multiplier les renvois. La durée maximale des séjours en rétention administrative va passer de 45 à 90 jours, et même à 115 jours. Depuis que ce doublement a été évoqué, les associations présentes dans les centres de rétention ont à maintes reprises rappelé que les deux tiers des expulsions ont lieu dans les douze premiers jours d’enfermement, mais cela n’a rien changé. « On voit bien qu’il s’agit de donner un signal plus que d’être efficace. Le gouvernement veut avant tout dissuader les migrants de venir en France », analyse Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes.
Selon lui, « nous sommes dans la veine des lois de Charles Pasqua… Gérard Collomb est sur une ligne plus dure que Nicolas Sarkozy qui prétendait équilibrer ses textes. Dans sa loi de 2003, le durcissement des conditions d’entrée et d’éloignement était compensé par la prétendue abolition de la “double peine” ou l’instauration du contrat d’accueil et d’intégration. En 2006, il était question de favoriser l’immigration “choisie”, y compris en régularisant des travailleurs sans papiers. Là, nous sommes dans un durcissement général des procédures, y compris et surtout pour les demandeurs d’asile ». Le juriste ne constate que quelques petites améliorations dans l’accès à des titres pluriannuels d’une partie des réfugiés et une extension de la réunification familiale pour les frères et sœurs des réfugiés mineurs.
Pour compléter ce tableau, la chasse aux sans-papiers sera elle aussi simplifiée puisque la retenue administrative pour vérification du droit au séjour sera augmentée de 16 à 24 heures et les « pouvoirs d’investigation » des policiers seront renforcés. Les associations, auxquelles les grandes lignes de ce texte avaient été divulguées dès le mois d’octobre, n’y voient donc aucun changement. Preuve qu’elles n’ont pas été écoutées. Seul le concept de « pays tiers sûr » a été enlevé. S’il était resté, c’était la fin du droit d’asile avec la possibilité de renvoyer des demandeurs hors Europe sans même étudier leur dossier.