Le nouveau président de la Fondation de l’Islam de France (FIF) G. Bencheikh est un homme respectable et honorable. C’est un brillant intellectuel qui manie avec une rare dextérité la langue française. Mais, c’est vrai, à force de jouer avec les subtilités d’un registre de langue qui se veut châtié et précieux, sa langue a fourché sur un sujet qui, bien qu’ancien (1989), reste brûlant. Est-ce pour autant une raison pour lui dresser un bûcher et appeler à sa crucifixion ?
Chassez le naturel, il revient au galop
Devant une assistance gentiment installée et en bonne disposition d’écoute, le nouveau président de la Fondation de l’Islam de France (FIF), s’est emberlificoté dans une explication ardue pour préciser sa posture en tant que croyant (accusé d’apostat), pour réfuter certaines des critiques qui lui sont opposées (laïcisant) et dénoncer les menaces physiques dont il a fait l’objet. On ne peut ici que compatir avec lui et lui manifester du soutien et de la solidarité. Mais, emporté par sa fougue habituelle, il a bifurqué sur le sujet du port du foulard pour se perdre dans une conjecture inutile mettant en cause malencontreusement le rôle du défunt Roi du Maroc Hassan II dans cette malheureuse affaire qui eut pour théâtre, au mois d’octobre 1989, le Collège Gabriel Havez de Creil (L’Oise) et pour actrices trois jeunes filles candides très vite dépassées par une pression médiatique et politique outrancière et exacerbée. Le moins qu’on puisse dire est que rien ne justifiait le recours par le président de la FIF, à l’occasion d’une simple présentation de vœux, à une affaire si compliquée pour faire une démonstration en roue libre de ce qu’aurait fait ou dit à son sujet le défunt monarque marocain. Ellipse ou pas, peu importe en fin de compte. Ce qui dérange et étonne, c’est cette légèreté avec laquelle le président est passé outre les usages les plus élémentaires qu’exigent de lui d’abord le bon sens et ensuite la réserve que lui impose sa fonction à la tête d’une institution censée mettre de l’ordre dans les affaires des musulmans et d’injecter de la cohésion et de l’entente dans les rangs de leurs ‘’représentants’’ officiels.
‘’Un prompt aveu mérite le pardon’’.
Encore une fois, rien n’obligeait le président de la FIF de remettre à l’ordre du jour cette polémique désastreuse liée au port du foulard qui tarde à se tarir et qui n’a fait que grossir l’arsenal juridique français de lois contestées et peu productives en termes de lutte contre le phénomène en question. Une affaire exploitée jusqu’à l'écœurement par les extrémistes de tous bords. Mais, le président de la FIF s’est ressaisi et a exprimé des regrets invoquant une "méprise" et une "ellipse involontaire". Il a aussi fait « amende honorable » en reconnaissant la légitimité des réactions que son dérapage a suscitées dans différentes sphères. Dont acte. Il n’est point raisonnable après cette repentance de refuser ses excuses et de continuer à lui opposer en guise de tous arguments qu’anathème et que complainte.
N’est-il pas plus constructif de s’intéresser à son projet et à sa vision pour une institution envisagée comme « un pont entre l’Islam et la République », destinée « à mieux faire connaître religion et civilisation musulmanes » et appelée à apporter à l’organisation générale de l’Islam des atouts qui lui ont fait cruellement défaut jusque-là ? Ne faut-il pas laisser cette instance à l’abri des règlements de comptes ?
N’est-il pas temps de conjurer cette malédiction qui touche et affecte systématiquement toute initiative et tout projet destiné à améliorer la représentation et l’organisation de l‘Islam dans un sens harmonieux et pacifié avec la République ?
Le premier président de la FIF, Jean-Pierre Chevènement, n’a pas non plus échappé à la vindicte habituelle dès sa nomination simplement à cause « de sa non-appartenance à la communauté musulmane ». Est-ce raisonnable ? Alors qu’en deux ans seulement, la FIF a accompli sous sa présidence de notables réalisations et amorcé ce que d’autres instances ont eu du mal à accomplir sur plus d’une décennie et demie d’existence. Sans forcer le trait, rien qu’entre janvier 2017 et juillet 2018 la FIF a lancé des actions et soutenu des projets importants au nombre de 12. Elle s’est intéressée à la formation profane des cadres religieux musulmans, à la réalisation d’un campus numérique « Lumières d’Islam », à la préparation d’une exposition « Europe, Islam, 15 siècles d’histoire », au renforcement de la recherche en islamologie. Sans oublier le Diplôme universitaire (DU) et l’octroi de bourses d’étude. Qui dit mieux ?
Certes, d’autres dossiers et projets aussi importants que ceux en cours d’étude ou de réalisation méritent un pareil intérêt. Identifions-les donc et œuvrons tous avec la sincérité et la compétence requises pour qu’ils soient portés par la FIF et réalisés pour la grande satisfaction des croyants musulmans qui méritent mieux que des polémiques à répétition.
G. Bencheikh a eu la pertinence de lancer cette phrase sous forme de défi : ‘’Ouvrons des débats, trouvons les espaces de discernement, de l’intelligence, de la confrontation des idées au lieu du torrent d’injures et de menaces de mort ». Qu’il en soit ainsi, et que la réussite et la pérennisation de la Fondation de l’Islam de France soient l’affaire de tous, au-delà de la personne, de l’origine ou de la couleur des yeux de celui qui la dirige. Est-ce trop demandé ?
Mohammed MRAIZIKA
Docteur en Histoire, Chercheur en Sciences Sociales
Consultant en Ingénierie culturelle
Directeur du CIIRI-Paris
Conférencier, auteur
Paris, le 15-02-2019