Entre mer, désert, montagnes et vertes collines, des oliveraies à perte de vue. On parle de 1,8 million d’hectares répartis sur tout le territoire. Environ 82 millions d’oliviers. La Tunisie peaufine ses huiles d’olive depuis la création de Carthage. Visiter le pays en goûtant certaines d’entre elles ajoute un grand plus au voyage. C'est ce que propose Hélène Clément dans le quotidien quebecois Le Devoir.
C'est pour assister à la remise des prix du 4e concours national de la meilleure huile d’olive conditionnée, les Tunisian Olive Oil Awards, que je me suis envolée pour la Tunisie. Une occasion inouïe de découvrir des huiles d’exception, fabriquées dans les règles de l’art, dont on ne parle encore que peu dans le monde.
Si l’on associe avant tout la fabrication des huiles d’olive de qualité à l’Italie, à la Grèce et à l’Espagne, la Tunisie occupe désormais une place bien loin d’être négligeable. Ce pays de la côte méditerranéenne est l’un des plus grands producteurs au monde.
Selon les données de PACKTEC, la structure d’appui aux entreprises de l’emballage et de l’imprimerie chargée de la promotion de l’huile d’olive tunisienne conditionnée, la production s’élève à 340 000 tonnes, et la quantité exportée à 312 000 tonnes. Quant à l’huile conditionnée, l’exportation est de quelque 20 000 tonnes.
Dans le magazine en ligne Kapitalis, Cain Burdeau parle d’une « révolution verte qui suit son cours ». « Durant la dernière décennie, la fabrication d’huile d’olive en Tunisie est passée du stade de la production d’une huile d’olive en vrac bon marché destinée à l’exportation vers l’Italie et autres marchés, au palier supérieur de la création et de la valorisation des marques locales indépendantes. » Le travail semble porter ses fruits.
Résultat ? Plusieurs marques d’huile d’olive extra-vierge tunisienne ont été primées lors de prestigieux concours internationaux, comme ceux de Tokyo, de New York, de Los Angeles… La Tunisie travaille fort pour faire de son huile d’olive un condiment de qualité, commercialisé en bouteille, avec une origine et des saveurs originales. Et bio.
Les olives sont dans l’ADN des Tunisiens depuis la fondation de Carthage par les Phéniciens. Une légende raconte que ce serait la reine Didon — ou Élyssa, soeur du roi Pygmalion (Tyr) — qui fonda la cité. Une huile d’olive tunisienne, la Terra Delyssa, s’est d’ailleurs inspirée de cette légende pour son marketing. En passant, on retrouve assez facilement cette huile extra-vierge bio dans les épiceries de Montréal. On la reconnaît à son étiquette jaune représentant un cheval avec une branche d’olivier en guise de crinière.
Au Musée du Bardo, à Tunis, plusieurs mosaïques chantent les louanges de l’olivier au temps des Romains. La remarquable collection du musée, récupérée dans des sites archéologiques dispersés aux quatre coins du pays, dont Carthage, Hadrumète, Dougga, Utique, El Jem, Sousse, Chebba, raconte l’histoire de toutes les civilisations qui ont façonné la Tunisie.
Parenthèse. La Tunisie comprend huit sites majeurs figurant sur la liste du patrimoine de l’UNESCO : la zone archéologique de Carthage, la cité punique de Kerkouane, l’amphithéâtre d’El Jem, les médinas de Tunis, Sousse et Kairouan, le site de Dougga et le parc national de l’Ichkeul. Et une douzaine d’autres en attente de le devenir.
Toujours est-il que si les Phéniciens, qui entretenaient des liens étroits avec cet arbre, ont apporté l’olivier en Tunisie, c’est sous l’Empire romain que l’oléiculture a pris de l’expansion. Comme l’irrigation et les méthodes d’extraction de l’huile d’olive. Et l’olive a répondu à l’appel : le climat de la Tunisie était parfait pour son développement.
La richesse de l’huile d’olive était telle sous les Romains qu’elle a justifié la construction de palais, de villas, d’aqueducs, de cités et du fameux amphithéâtre d’El Jem — le troisième du monde antique, après celui de Capoue et le Colisée de Rome.
Puis, il y aurait eu ralentissement de la production d’huile d’olive lors de la conquête arabe, suivi d’une disparition graduelle des oliveraies, les nomades préférant les pâturages. La culture des oliviers reprendra au moment de la colonisation française.
L’oliveraie, qui s’étend sur 300 hectares et abrite 15 000 oliviers, niche dans un joli paysage rural vallonné, entre le massif de Zaghouan et la plaine de Bouficha.
« Ici, tout est fait manuellement, la cueillette, la trituration, le conditionnement et le stockage », précise Mounir Boussetta, producteur et propriétaire du domaine de Segermès, situé au nord-est de la Tunisie, à une soixantaine de kilomètres de Tunis. « Et toutes les cultures sont certifiées biologiques par Ecocert, depuis 2011 », dit-il fièrement.
L’or vert de Segermès
« Segermès tient son nom de l’antique ville romaine sur laquelle nous avons construit cette jolie structure en 2015 », explique l’oléiculteur en désignant les vestiges d’une église byzantine. « Les oliviers poussent depuis 1500 ans. Les Romains, les Byzantins et autres civilisations ont récolté, broyé et pressé les olives bien avant nous. »
Mounir Boussetta cultive deux variétés d’olives, la chemlali et la chetoui, et l’huile sauvage, résultat du jus du fruit de l’oléastre — un arbre originaire d’Afrique du Nord qui pousse à l’état naturel grâce aux pépins digérés et disséminés çà et là par les oiseaux.
Une visite de l’élégant domaine nous enseigne que, pour donner une huile d’olive de bonne qualité (vierge ou extra-vierge), les olives doivent être pressées dans les heures qui suivent la récolte, et le malaxage se fait à froid, entre 25 et 28 °C, et rapidement.
« Mon but est de produire un fruité vert, issu de la récolte d’olives en tout début de saison. Ce choix diminue ma quantité d’huile d’olive, mais me garantit en contrepartie une huile d’exception. Je cherche à produire de la qualité, non de la quantité. »
Mounir Boussetta a produit, cette année, 50 tonnes d’huile d’olive certifiée bio, qu’il souhaite vendre aux États-Unis en petites bouteilles de 250 ml. Des huiles avec une note parfois fruitée verte ou subtile, parfois amère contribuant à l’équilibre, ou piquante…
Les pentes de Ben Ammar Bio
El Fahs. Charmant, ce coin de pays situé à une soixante de kilomètres au sud-ouest de Tunis. Des collines vertes, des moutons qui broutent, des cigognes qui nichent sur quasi tous les poteaux le long de la route, des vendeurs d’escargots, des oliveraies…
Nous suivons un camion chargé d’artichauts et de fenouil, puis un autre de branches et de feuilles d’olivier destinées à la confection du savon. Rien ne se perd !
Au domaine Ben Ammar, une ferme biologique familiale de 200 hectares située dans la région montagneuse de Jebel Mansour, où l’on produit « Ivlia », une huile d’olive biologique faite d’olives chetoui, nous sommes accueillis par Rawia Ben Ammar, la directrice des ventes, son beau-frère, Chaouki Ben Ammar, et leur assistant, Ali Elborni.
Nous avions déjà eu le plaisir de leur serrer la main le soir d’avant alors que le domaine Ben Ammar recevait le premier prix de la 4e édition du concours national de la meilleure huile d’olive conditionnée pour la catégorie de l’huile d’olive au « fruité moyen ».
Comme au domaine de Segermès, une huile d’olive d’exception dont les olives auront été cueillies à la main, pour éviter les chocs à cette étape de la fabrication, et pressées à froid dans les heures qui suivent la récolte via des installations — moulin, fûts de stockage en acier inoxydable et laboratoires à la fine pointe de la technologie.
« Et tous les déchets sont recyclés », précise Rawia Ben Ammar. « Les peaux d’olive sont transformées en pâtes, les noyaux sont brûlés. Ces déchets bio, bien sûr, seront mélangés à du fumier et transformés en compost pour enrichir la terre. »
Le domaine Ben Ammar, certifié bio depuis sept ans, ne baigne pas que dans l’huile d’olive et les olives de table. La famille élève quelque 3000 poules tout-terrain, qui courent en liberté dans un grand champ et ne se nourrissent que de légumes et de graines bio qui poussent sur les terres du domaine. Elle cultive aussi tomates, artichauts et amandes et embouteille une excellente eau de source provenant de la montagne à côté.
À quelques kilomètres du domaine Ben Ammar se trouvent les vestiges de l’ancienne cité romaine de Thuburbo Majus, dont l’histoire remonte à l’ère prépunique. L’expression « mérite le détour » est ici très pertinente. Les vestiges de cette ville en pleine campagne donnent la chair de poule. Encore plus lorsque le tonnerre gronde au loin.
Hélène Clément, l'auteure de cet article, est enseignante de formation et titulaire de deux baccalauréats (russe et langues slaves, sciences de l’éducation physique). Aussi photographe et journaliste indépendante, elle a parcouru une centaine de pays et vécu en Pologne et en Allemagne. Elle a signé des centaines d’articles portant sur les voyages dans Le Devoir, où elle collabore depuis 15 ans, et dans d’autres magazines québécois. Ses articles lui ont valu plusieurs prix dans la catégorie «Meilleur reportage», notamment de l’Association des représentants des offices nationaux de tourisme en 2009 et de la Caribbean Tourism Organisation en 2011.
LE TOURISME OLÉICOLE
Entre la mi-mai et la mi-juin, l’olivier est en fleurs. À la fin août, les olives ont atteint leur taille définitive. Elles sont de couleur vert cru. Dès qu’arrive l’automne, elles virent au vert tendre, puis au vert pâle. Si on les laisse profiter du soleil, elles se teintent de rose et de mauve pour passer au violet, au brun foncé et au noir. La cueillette se fait en moyenne entre les mois d’octobre et février. Un bon moment pour venir au pays et visiter quelques moulins à huile en activité. Les oliviers poussent sur tout le territoire tunisien.
LES GAGNANTS NATIONAUX DE LA MEILLEURE HUILE D’OLIVE CONDITIONNÉE
Catégorie : huile d’olive extra-vierge au fruité moyen
1re place — Société Jazira
2e place — Société Medagro
3e place — Société Tunisian American Olive Oil (TAOOC)
Catégorie : huile d’olive extra-vierge au fruité intense
1re place — Société Tunisia Natura – Domaine Ben Ammar Bio
2e place — Huilerie Loued
3e place — Société Bulla Begia