
Le candidat veut respecter l'égalité des chances avec son adversaire Nabil Karoui, emprisonné depuis fin août.
(AFP) - Le candidat à la présidentielle en Tunisie Kais Saied a annoncé samedi qu'il cessait de faire campagne pour le second tour afin de respecter l'égalité des chances avec son adversaire Nabil Karoui, en prison depuis fin août.
«Je ne ferai pas personnellement campagne pour des considérations morales et afin d'éviter tout doute concernant l'égalité des chances entre les candidats», a indiqué le candidat sur sa page Facebook. Arrivé en tête au premier tour le 15 septembre après une campagne de terrain à petit budget, et via des groupes sur Facebook, cet universitaire a continué à rester discret, évitant certains plateaux télé.
Dans la perspective du second tour le 13 octobre, le président tunisien, l'ONU, les observateurs internationaux et de nombreux responsables politiques ont appelé à assurer une «égalité des chances» entre les deux candidats.
«Une situation anormale»
Le président de la République par intérim Mohammed Ennaceur a souligné vendredi que l'incarcération d'un candidat était «une situation anormale pouvant avoir des répercussions graves et dangereuses sur le processus électoral». L'ONU a de son côté appelé à des élections «pacifiques et transparentes».
Nabil Karoui, sous le coup d'une enquête pour fraude fiscale et blanchiment depuis 2017, a été incarcéré une semaine avant le début de la campagne pour le premier tour de la présidentielle. Il accuse des rivaux politiques, notamment le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, d'avoir instrumentalisé la justice. Les demandes de libération présentées par ses avocats ont été rejetées. Ses partisans ont évoqué la possibilité de faire recours contre l'élection, si leur candidat était écarté au second tour.
Des élections législatives dimanche
Kais Saied a néanmoins souligné sa «conviction profonde que l'égalité des chances doit également inclure les moyens à la disposition des deux candidats», en allusion aux moyens médiatiques et financiers mobilisés pour la campagne de son adversaire.
Nabil Karoui a fait campagne par l'intermédiaire de la télévision qu'il a fondée, Nessma, l'une des principales chaînes privées en Tunisie, et de son épouse Salwa Smaoui, interviewée en Tunisie comme à l'étranger. Le feuilleton à rebondissements de la présidentielle a éclipsé les élections législatives de dimanche, pourtant cruciales dans le pays pionnier du Printemps arabe, où le Parlement a de larges prérogatives sur les sujets cruciaux tels que l'économie.
Candidats à l'élection présidentielle en Tusinie
Nabil Karoui, candidat populiste
Parfois comparé à Berlusconi, Nabil Karoui jouit d'une popularité certaine en Tunisie. Cet homme d'affaires, qui a fait fortune dans la publicité et la communication, est notamment à la tête de la chaîne de télévision Nessma et bénéficie à ce titre d'une grande exposition médiatique. Nabil Karoui est aussi célèbre pour ses activités caritatives pour les démunis. Sa carrière politique est d'autant plus spectaculaire que l'homme est actuellement en prison, inculpé pour "blanchiment d'argent" et soupçonné d'évasion fiscale. Mais sa candidature a été officiellement validée et il n'est pas improbable qu'il devienne le prochain président de Tunisie.
Pour Business News, Nabil Karoui est sans doute le candidat qui a le plus travaillé sa campagne, avec l'idée fixe d'être très présent dans les médias. "Nabil Karoui est convaincu d'une chose : celui qui manipule l'opinion détient le pouvoir. Il l'a dit et répété des dizaines de fois", écrit le journal, qui considère que son incarcération lui a beaucoup servi : "Alors qu'il était traité de mafieux jusque là, il est désormais victime. Mieux encore, comme le dit si bien son épouse Salwa Smaoui, il est un prisonnier politique puisqu'il répond à la définition technique du terme. [...] Sans rien faire, juste parce qu'il est victime d'une cabale politico-judiciaire [...], Nabil Karoui a réussi à glaner des centaines de milliers de voix ce dimanche 15 septembre".
Kaïs Saïed, candidat très conservateur
Cet universitaire, professeur de droit, a développé dans cette campagne un projet de réforme du pays pour donner davantage de poids politiques aux échelons locaux, avec davantage de démocratie directe. Appelé "Robocop" pour la manière saccadée avec laquelle il s'exprime et son air impassible, il cultive l'image d'un homme intègre, qui souhaite doter la Tunisie d'instances constitutionnelles plus modernes. Pour autant, Kaïs Saïed est aussi l'une des figures les plus conservatrices du pays. Hostile à la dépénalisation de l'homosexualité, contre l'abolition de la peine de mort, l'universitaire est aussi contre le projet de réforme de l'héritage qui rendrait égaux en la matière hommes et femmes. Une réforme souhaitée par l'ancien président qui n'aura pas eu le temps d'être adoptée.
"Avec une quasi-absence de campagne médiatique et sans grands moyens financiers, Kais Saïed a réussi à dépasser tous ses adversaires. Kaïs Saïed n'est pas un phénomène médiatique, mais un phénomène de société. Et s'il a réussi à gagner la confiance des Tunisiens, c'est tout simplement parce que la majorité d'entre eux en ont eu assez de la classe politique", analyse le webzine tunisien Business News, dans un édito relayé par Courrier International.