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A Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, une décennie d'espoirs déçus

Dans la ville où a démarré le soulèvement populaire, les nouvelles libertés ne se sont pas traduites par une amélioration du niveau de vie des habitants.

(AFP) - Dans le berceau de la révolution tunisienne, l'entrepreneuse Khouloud Rhimi peut désormais s'engager et parler politique au café avec ses amies. Mais, comme au moment du soulèvement de 2011, "il n'y a pas de travail à Sidi Bouzid", déplore-t-elle amèrement.

Cette ville marginalisée du centre du pays, qui se résumait alors à un réseau de rues détériorées bordées de commerces loqueteux et de bâtiments publics en piteux état, est devenue un symbole de la révolution.

A ce titre, Sidi Bouzid a bénéficié d'une attention politique particulière: elle compte désormais une grande piscine municipale, des lieux de loisirs et cafés branchés avec wifi où jeunes filles et garçons se côtoient et peuvent critiquer sans crainte les autorités.

Mais si la révolution a amené une liberté sans précédent, elle n'a pas répondu aux autres revendications des jeunes descendus dans la rue en 2011 pour chasser Zine el Abidine Ben Ali du pouvoir: travail et dignité.

Dans les villes de l'intérieur, le chômage reste deux à trois fois plus élevé que les 18% enregistrés nationalement, notamment chez les jeunes diplômés.

C'est ce même fléau du chômage et le harcèlement policier qui avaient poussé à bout le marchand ambulant Mohamed Bouazizi, au point qu'il s'immola par le feu le 17 décembre 2010, sur la place principale de Sidi Bouzid.

- Emigrer en Europe -

Son acte a lancé la contestation dans l'intérieur marginalisé du pays, mouvement qui a ensuite gagné Tunis et s'est propagé à l'ensemble du monde arabe après la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011.

Dix ans ont passé, et si la Tunisie est saluée comme le seul pays à avoir poursuivi sur la voie de la démocratisation, beaucoup d'habitants de Sidi Bouzid ont l'impression que leur vie est plus difficile.

"De nombreuses connaissances ont essayé de partir en Europe", souligne Khouloud Rhimi, 25 ans.

"Certains sont morts en mer. D'autres se sont immolés par le feu. Il n'y a pas de travail, parfois il n'y a même pas assez pour s'acheter à manger", dit-elle.

Cette diplômée en informatique en 2015 n'a pas attendu d'aide de l'Etat pour se lancer. Mais dans une région où certains emplois sont payés 150 dinars (50 euros) par mois, il lui a fallu quatre ans pour mettre de côté de quoi monter sa propre affaire - un petit restaurant.

Quand elle a eu besoin d'un petit crédit pour boucler son projet, les banques et les organismes de micro-crédit l'ont rejetée.

Signe que la région n'a pas connu les améliorations maintes fois promises, les zones industrielles de Sidi Bouzid restent quasi désertes - le taux de remplissage ne dépasse pas 3%, selon le gouverneur Anis Dhifallah.

- "Lutte fratricide" -

Outre la réticence des banques, Rachid Fetini, patron local du textile, dénonce le manque de stratégie gouvernementale pour lutter contre les inégalités et le clientélisme.

M. Fetini, qui employait 500 ouvriers avant 2011, se désole devant les rangées de machines à coudre silencieuses dans son usine vide. La pandémie de coronavirus, qui a mis l'économie tunisienne à genoux, a scellé le sort de son affaire.

"Après la révolution, tous mes clients ont fui Sidi Bouzid", explique M. Fetini, qui avait soutenu le soulèvement. "Ils ont eu peur", regrette-t-il, en critiquant la couverture médiatique de cette région présentée comme perpétuellement en grève, "ce qui n'est pas du tout vrai".

Selon lui, "il y a une lutte fratricide entre les partis politiques, du coup même les responsables locaux sont bloqués dans leurs décisions". "Personne n'ose signer un document sans se couvrir politiquement au cas où."

De nombreux projets sont entravés "parce que certains lobbies ne souhaitent pas voir se développer telle ou telle activité", par peur de la concurrence, explique-t-il encore.

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