
Pour renforcer la prévention contre le Covid-19, le Maroc a opté pour Wiqaytna et la Tunisie pour E7mi. Les deux pays ont décidé de jouer la carte technologique.
(Le Point - Afrique) - Loin des inquiétudes et des polémiques suscitées en France autour de l'application de traçage volontaire StopCovid, les autorités marocaines ont lancé, lundi, un outil identique mobile qui va permettre de remonter les contacts pour lutter contre la propagation du Covid-19. Baptisée « Wiqaytna » (notre protection), cette application utilise une technologie Bluetooth, le système de communication entre appareils électroniques situés à proximité, avec un usage « volontaire », selon les autorités. Concrètement, comment ça se passe ? L'application « envoie une notification à l'utilisateur en cas de proximité physique prolongée avec un autre utilisateur positif au Covid-19 » et permet au ministère de la Santé de faire « une évaluation du risque d'exposition », puis, le cas échéant, d'entrer en contact avec le cas notifié, selon la même source.
Maîtriser la chaîne de contamination
Le Maroc, qui compte 35 millions d'habitants, a multiplié les dépistages ces derniers jours, avec environ 208 366 tests menés, 7 819 cas officiellement détectés et 205 morts, selon le bilan publié lundi.
L'application Wiqaytna, qui s'inspire d'une technologie utilisée à Singapour, a été validée par la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP), un organisme officiel qui a conditionné son utilisation à plusieurs mesures de protection des données privées. Le projet a été élaboré conjointement par le ministère de la Santé et le ministère de l'Intérieur, en collaboration avec l'Agence de développement digital (ADD) et l'Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT). Plusieurs entreprises et écoles ont également collaboré – parfois bénévolement ◊ au projet, à l'instar de l'OCP ou de l'école de codage de Khouribga 1337.
Ce qui se fait ailleurs
Différents pays se sont dotés ces dernières semaines de systèmes de traçage, avec parfois des débats très vifs sur leur compatibilité avec les libertés individuelles. À Singapour, l'application gouvernementale TraceTogether lancée à la mi-mars a connu un succès mitigé, avec un faible nombre d'utilisateurs (1,5 million de personnes, soit à peine un quart de la population) et donc une efficacité limitée.
Une étude de l'université anglaise d'Oxford estimait, en mars, qu'un minimum de 60 % d'une population était requis pour que ce type d'application soit une aide réelle pour enrayer l'épidémie. En Inde, Aargoya Setu, l'application de traçage anti-Covid-19 lancée par le gouvernement le 2 avril, a été massivement téléchargée. Plus de 100 millions de personnes l'ont téléchargée, soit presque un Indien sur dix. C'est le programme de contrôle sanitaire le plus important dans le monde. Mais les ONG s'insurgent depuis plusieurs mois contre les atteintes à la vie privée. Ils remettent en cause notamment la collecte opaque des données via les technologies Bluetooth et GPS. En effet, l'application était jusqu'à président obligatoire pour les employés du secteur public et privé. Le gouvernement a été obligé de reculer et l'a rendue facultative.
Au Maroc, la stratégie autoritaire adoptée pour limiter la contagion – confinement obligatoire, déplacements limités, contrôles policiers fréquents – suscite une adhésion assez forte de la population, selon les indicateurs officiels. L'utilisation de l'application est considérée comme « un geste citoyen pour contribuer à la lutte contre la propagation du virus », indiquent les autorités. La prolongation du confinement obligatoire au 10 juin prochain, pour une durée totale d'environ 10 semaines, a cependant suscité des réserves. Dans les faits, beaucoup ont recommencé à retrouver une vie normale ces derniers jours.
Adapter l'application à la réalité du terrain
Sur ce plan, la Tunisie a pris quelques jours d'avance. Le pays a lancé à la mi-mai son application E7mi, disponible sur Android et en cours de validation sur iOS. Cette fois, elle a été développée gracieusement par une start-up tunisienne qui crée habituellement des outils de marketing digital pour des entreprises étrangères. Tout comme l'application française StopCovid, E7mi n'est pas basée sur l'architecture proposée par Apple et Google.
Si une personne qui utilise l'application est testée positive, l'Observatoire des maladies émergentes (ONME) préviendra les autres usagers ayant croisé le chemin de son téléphone, en se basant sur les informations transmises par le téléphone à un serveur. « Nous avons commencé dès le mois de mars, quand on a entendu parler de l'application Tracetogether à Singapour, mais on a voulu faire quelque chose d'adapté à la Tunisie », explique Akil Nagati, directeur de la start-up Wizz Labs.
Ainsi, les usagers « ne pourront pas se déclarer eux-mêmes malades, pour éviter toute fausse alerte et les notifications reçues par un usager ayant été en contact avec une personne malade seront suivies d'un appel téléphonique de l'ONME pour être sûr qu'il y ait un suivi », ajoute-t-il. « Nous avons été plus rapides que beaucoup de pays », se réjouit le jeune ingénieur. L'application tunisienne a été validée par le ministère de la Santé après trois semaines de tests.
« Une campagne de sensibilisation va inciter les gens à installer l'application, mais si on voit que le taux d'installation reste très bas, on envisagera de changer de stratégie », a déjà prévenu Bassem Kchaou, chargé du numérique au sein du ministère de la Santé. Il pourrait ainsi devenir obligatoire de télécharger l'application avant d'entrer dans une grande surface. Les données personnelles, archivées durant 14 jours sous le contrôle de l'Instance nationale de protection des données personnelles, ne pourront être consultées que par l'ONME pour les contacts des personnes testées positives au nouveau coronavirus, assure-t-on.