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Le Grand Est : l'impossible région

Il y a six ans, la Champagne-Ardenne, la Lorraine et l'Alsace étaient unies de force par François Hollande, alors président de la République, dans le cadre de la réforme territoriale donnant naissance au Grand Est. Critiquée, mal-aimée, la grande région n'a toujours pas réussi à s'imposer dans le paysage et le cœur de ses six millions d’habitants. Un échec flagrant dont François Hollande porte et portera la responsabilité entière aux yeux de l'Histoire.

(France 3) - Le dimanche 20 juin, les électeurs du Grand Est vont pouvoir renouveler le conseil régional. Et sans surprise, sur les neufs listes en lice pour ce scrutin : quatre sont ouvertement hostiles à la collectivité. La liste Rassemblement national de Laurent Jacobelli prône le démantèlement pur et simple du Grand Est, même projet pour les Patriotes de Florian Philippot. Enfin, le parti autonomiste alsacien Unser Land a déposé une liste « Stop le Grand Est, en avant l’Alsace ». Le message est clair. Beaucoup plus que celui de Brigitte Klinkert, candidate de la majorité présidentielle, "maman de la CEA, la Collectivité européenne d'Alsace" selon Olivier Becht, député Agir. Elle plaide également pour « un choc de la décentralisation de la grande région en nommant trois présidents délégués pour chaque ex-région ». Une manière plus subtile d’attaquer le Grand Est. Ou plus réaliste peut-être. 

Car même si l’une de ces listes arrive à la tête de la région, il est clair que le démantèlement du Grand Est n’est pas faisable. C’est un argument de campagne tout simplement", explique François Laval, politologue à Nancy. Et de poursuivre " nous sommes dans un Etat unitaire. Les règles sont fixées par le gouvernement et le législateur. Or, démembrer les grandes régions, ce n’est pas au programme de ces derniers "D'ailleurs, la petite bombe de Jean Castex, "je n'ai jamais été convaincu par ces grandes régions" le 23 janvier à la Collectivité européenne d’Alsace n’y changera pas grand chose. Revenir aux anciennes entités dans le Grand Est signifierait une remise en question de toutes ces régions créées de toutes pièces en 2015. Quid de l’Occitanie, de la Nouvelle Aquitaine ? Pas sûr qu’un gouvernement ose défaire ce qui a été fait. "Il faudrait un vrai courage politique. Et actuellement, dans les plus hautes sphères de l'Etat, personne ne s'y risquerait", estime François Laval.

L'existence même du Grand Est ne semble défendue que par son président sortant, Jean Rottner (LR), candidat à sa propre succession. "Nous avons une puissance reconnue, nos amis allemands travaillent avec le Grand Est parce qu'ils ont compris l'intérêt économique et stratégique de travailler avec ce grand ensemble territorial ; c'est une force que n'avaient pas les trois anciennes régions", dit-il. 

La création de la CEA : le caillou dans la chaussure du Grand Est ?

Le Grand Est se retrouve pourtant fragilisé depuis la création de la CEA. Née de la fusion des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, en janvier 2021, la collectivité était réclamée par les Alsaciens. " C’est clairement une rupture dans l’égalité de traitement des départements du Grand Est et il faudra sans doute s'en expliquer " insiste Richard Kleinschmager, politologue strasbourgeoisUne collectivité européenne d’Alsace, un super département aux compétences spécifiques, mal perçue par les Lorrains et les Champardennais qui ne comprennent pas cette concession faite aux Alsaciens. " Sans doute verrons-nous dans les prochains mois, années, des départements comme la Moselle et la Meurthe-et-Moselle réclamer leur collectivité européenne à compétences spécifiques ". Une "balkanisation" du Grand Est qui donne du fil à retordre à Jean Rottner, le président sortant. S’il reconnaît avoir soutenu la création de la collectivité alsacienne, il assure vouloir préserver l’équilibre dans le Grand Est. Pas de quoi rassurer les élus locaux. Le président du Conseil départemental de Moselle, Patrick Weiten (UDI) estimant " ce qui est bon pour l’Alsace le sera pour la Moselle ".

Alors peut-on, dans ces conditions, imaginer que les six millions d'habitants du Grand Est se considèrent « Grand Estiens » ? Le temps apaisera-t-il les amertumes, particulièrement celles des Alsaciens, qui n’ont jamais adhéré à cette collectivité territoriale et cela depuis les prémices du projet de la réforme ? " Plus l’identité d’un territoire est forte, plus le rejet de la grande région est fort. Et cela est particulièrement vrai en Alsace " explique Arnaud Duranthon, maître conférencier en droit public à Sciences Po Strasbourg.

L’identité régionale se construit au fil du temps. Avec une histoire commune. Un même vécu partagé par la population. Une même langue. Une culture forte. Pour Richard Kleinschmager " le Grand Est c’est tout le contraire de l’identité régionale. C'est un mariage forcé de territoires très hétérogènes"

Pour preuve, le dernier fait en date, le samedi 29 mai à Colmar. L'enfarinage du président Rottner lors d'une manifestation en soutien aux langues régionales. Certains militants régionalistes alsaciens lui reprochant d'avoir "trahi la cause alsacienne" en dirigeant le Grand Est, en se présentant à sa succession. Des tensions qui n'ont jamais vraiment cessé autour de cette question. 

Loin des yeux, loin du coeur

De plus, l’étendue de la grance région amplifie le sentiment d’éloignement entre les populations. "Demandez à des Rémois ou des Troyens s’ils se sentent proches des autres communes du Grand Est ? Non, ils sont clairement tournés vers Paris et la région parisienne. Les Lorrains davantage vers le Luxembourg pour le nord et la Bourgogne-Franche-Comté pour le sud. Et les Alsaciens, vers l’Allemagne et la Suisse" précise François Laval. "Certes, la région a amélioré les liaisons ferroviaires entre ses différents territoires grâce à sa compétence en matière de Train express régionaux. Mais les trajets en TER quotidiens vont rarement au-delà des frontières des anciennes entités. Des populations qui se tournent le dos. Au sens propre comme au figuré". 

A quelques jours du premier tour des élections régionales 2021, les " Grand Estiens " sont au mieux indifférents à la grande région, tant ses compétences restent floues pour les habitants, au pire complétement réfractaires. La collectivité qui en six ans d'existence a su néamoins inventer et promouvoir une identité de communication, à savoir une entité avec un logo, une marque reconnaissable et visible. Mais insuffisante pour conquérir les coeurs. Y parviendra-t-elle un jour ?

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