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Coup de folie ? Erdogan menace d’expulser dix ambassadeurs

Coup de folie ? Erdogan menace d’expulser dix ambassadeurs

Un vent de folie soufflerait-il sur le palais présidentiel d'Ankara ? Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a menacé, jeudi 21 octobre, d’expulser les ambassadeurs de dix pays, dont les Etats-Unis, la France et l’Allemagne, après l’appel qu’ils avaient lancé quelques jours plus tôt en faveur de la libération du mécène et homme d’affaires Osman Kavala, en détention provisoire depuis 2017 à la prison de haute sécurité de Silivri, à la périphérie d’Istanbul.

(AFP) - Coutumier des déclarations stupides à l’emporte-pièce, M. Erdogan s’est lâché dans l’avion qui le ramenait d’une tournée en Afrique. « J’ai dit à notre ministre des affaires étrangères que nous ne pouvions plus nous permettre le luxe de les accueillir dans notre pays », a-t-il affirmé aux journalistes qui l’accompagnaient. « Est-ce à vous de donner une leçon à la Turquie ? Pour qui vous prenez-vous ? », a-t-il tempêté, rejetant la suggestion selon laquelle le pouvoir judiciaire turc n’était pas indépendant. « Notre système judiciaire offre l’un des plus beaux exemples d’indépendance », a-t-il martelé.

Interrogé jeudi par des journalistes sur une éventuelle expulsion des ambassadeurs, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Tanju Bilgiç, a déclaré qu’Ankara avait la liberté de décider des mesures qu’il convenait de prendre, « le moment venu », sans donner plus de détails.

« Retard persistant »

Dans un communiqué publié lundi, le Canada, la France, la Finlande, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède et les Etats-Unis ont réclamé un « règlement juste et rapide de l’affaire » Osman Kavala, emprisonné depuis quatre ans sans jugement. Les diplomates ont notamment observé que « le retard persistant [pris par] son procès (…) jette une ombre sur le respect de la démocratie, de l’Etat de droit et de la transparence du système judiciaire turc ». Le lendemain, les ambassadeurs des pays en question ont été convoqués au ministère des affaires étrangères à Ankara, qui a jugé leur déclaration « irresponsable ».

Figure respectée de la société civile, Osman Kavala, 64 ans, est accusé depuis 2013 par le régime du président Erdogan d’avoir cherché à renverser le gouvernement. Connu pour sa modération, cet intellectuel a consacré l’essentiel de sa fortune à financer des œuvres caritatives, se portant au chevet de l’enfance maltraitée, restaurant le patrimoine architectural, appelant sans relâche au dialogue entre les minorités religieuses et ethniques de Turquie.

Le « George Soros de Turquie », comme l’appelle M. Erdogan, a notamment été l’un des initiateurs de la campagne de reconnaissance du génocide des Arméniens de l’Empire ottoman en 1915, un sujet tabou en Turquie. Emprisonné depuis la fin de 2017 sans jamais avoir été condamné, M. Kavala a été acquitté en 2020, puis aussitôt remis en examen. Il est accusé d’avoir orchestré et financé les manifestations anti-Erdogan de 2013 et d’avoir pris part à la tentative de coup d’Etat survenue le 15 juillet 2016.

Menace de sanctions

Autant les charges qui pèsent contre lui sont graves, autant son dossier est vide de preuves. L’acharnement dont il est victime n’a pas échappé à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a ordonné sa « libération immédiate » en décembre 2019. Les juges de Strasbourg ont estimé que son maintien en détention prolongée trahissait une volonté de le « réduire au silence » et « avec lui tous les défenseurs des droits de l’homme ». Le Conseil de l’Europe a menacé Ankara de sanctions, qui pourront être adoptées lors de sa prochaine session, en fin d’année, si l’opposant n’est pas libéré d’ici là.

Dans sa diatribe antidiplomates, le président Erdogan a fustigé un autre prisonnier d’opinion, Selahattin Demirtas, un ancien président du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche, prokurde) emprisonné depuis 2016 sans preuve, qu’il a qualifié de « terroriste ». La libération de M. Demirtas a également été demandée par la CEDH, en vain.

En refusant d’exécuter les arrêts de la Cour de Strasbourg, la Turquie manque à ses engagements internationaux. Ses manquements s’étendent aussi à la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme puisque le GAFI, l’organisme international qui lutte contre ce fléau, l’a placée jeudi sous surveillance. Une décision « injuste » selon Ankara.

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