Voici un article récemment reçu pour publication qui traite de la réélection de Ghaleb Bencheikh à la présidence de la Fondation de l'Islam de France. Cette réélection, qui a eu lieu le mardi 27 février 2024, est examinée en détail, mettant en évidence les tensions politiques internes au sein de l'organisation, notamment entre les représentants gouvernementaux et les personnalités qualifiées. L'article expose également les tentatives politiques visant à favoriser un autre candidat soutenu par Chems Eddine Hafiz, qui ont finalement échoué. De plus, il aborde des initiatives, jugées, controversées du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, telles que son projet de statut de l'imam en France, et leurs implications sur la liberté religieuse. Enfin, l'article évoque les préoccupations financières de la Fondation de l'Islam de France et émet des hypothèses sur un éventuel changement de positionnement politique de la part du président Macron.
Du « coup de Trafalgar » au « coup d’épée dans l’eau »
Mardi 27 février 2024, Ghaleb Bencheikh a été réélu dans ses fonctions de Président de la Fondation de l’Islam de France. Vu de l’extérieur, cela n’a rien d’étonnant. La bilan de Ghaleb Bencheikh à la tête de l’institution est tout ce qu’il y a de remarquable, malgré un budget squelettique qu’Emmanuel Macron avait promis d’augmenter, en vain.
Sauf que dans les faits, les choses ne se sont pas passées de façon si sereine. Explications.
Le président est renouvelé, par élection tous les deux ans. ainsi qu’une partie du conseil d’administration.
Le conseil d’Administration est composé de 11 membres votant dont 3 représentants du gouvernement, en l’occurrence Eric Tison, Yannick Faure, et Delphine Pagès-Karoui, 2 représentants des entreprises donatrices, 1 représentant CFCM, en la personne de son président, Mohamed Moussaoui, et 5 « personnalités qualifiées », Ghaleb Bencheikh, Kamel Kabtane, Bariza Khiari, Sadek Beloucif, et Didier Leschi.
Le scrutin se passe en deux étapes : D’abord le renouvellement de deux membres du collège des personnalités qualifiées , puis les élections du bureau.
Dans la première étape, Sadek Beloucif et Didier Leschi, sortants, étaient candidats à leur succession, et une troisième, Juliette Dumas, universitaire membre de l’institut Français de l’islamologie, était également candidate.
Le règlement électoral prévoit que les candidats sortants ne votent pas. Les 9 votants restant avaient donc à choisir chacun deux noms parmi les trois proposés.
Chems Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, souhaitait depuis longtemps prendre le pouvoir, au moins indirectement, à la FIF. Il a donc essayé de manoeuvrer de façon à ce que son poulain, Beloucif, prenne la place de Bencheikh, avec lequel, c’est le moins qu’on puisse dire, ce n’est pas l’entente cordiale. Ceci avec la bénédiction du gouvernement français, et notamment de Gérald Darmanin, qui a décidé, depuis quelque temps, de jouer à fond la carte Chems Eddine, alors que Macron avait, l’an dernier, reçu personnellement Ghaleb Bencheikh en lui promettant de lui confier la question de la formation des imams et, naturellement, le budget afférent.
Mais les choses ne se sont pas passées tout à fait comme prévu. Si les 5 représentants de l’administration ont voté Beloucif comme un seul homme, répartissant leurs voix pour le second nom entre Leschi et Dumas, les personnalités ont donné les leurs à Leschi et Dumas, et aucune à Beloucif. Celui, ci a donc recueilli finalement 5 voix, Leschi 7 voix, et Dumas 6 voix. Sadek Belouci a donc été éliminé et poussé vers la sortie du conseil d’administration de la FIF.
Ainsi que le fait remarquer « un journaliste de culture musulmane connaisseur du dossier », selon les termes du journal Le Monde, il s’agit s’une « humiliation personnelle de Beloucif et par ricochet pour Hafiz qui, après avoir ouvert une « guerre » fratricide au sein du CFCM sous l’ombrelle des algériens réunis contre le Marocain Moussaoui, ont ouvert la « guerre » fratricide inter-algérienne à la FIF, soit à la demande de clans à Alger, soit à leur propre initiative, et pour leurs propres intérêts immédiats, forts, selon eux, du soutien indéfectible envers eux de Gérald Darmanin. Pourtant, déjà en 2021, la tentative , soutenue par le ministre de l’intérieur, de placer Sadek Beloucif à la place de Ghaleb Bencheikh avait échoué, ce dernier ayant été réélu à la tête de la FIF ».
Cette élection, qui conforte Ghaleb Bencheikh à la présidence et place Kamel Kabtane au secrétariat et Juliette Dumas à la trésorerie, montre que la « volonté de faire », la passion et le professionnalisme l’ont une fois de plus emporté sur les calculs politiques. « Sous la présidence de Ghaleb Bencheikh la FIF continuera à servir l’intérêt général et le bien commun. La priorité restera la jeunesse via nos projets éducatifs et culturels, avec le soutien de tous et notamment de la composante islamique de la Nation. » indique la FIF dans un communiqué publié après la réunion du Conseil d’administration.
Darmanin sur la sellette ?
Ce « coup de Trafalgar » est devenu un « coup d’épée dans l’eau » pour Gérald Darmanin, qui venait juste de déclarer sa volonté de mettre en place un « statut de l’imam en France ». Un projet personnel qu’il espère voir aboutir en septembre sous la houlette du Forum de l’islam de France.
Or ce projet pose deux problèmes majeurs. En premier lieu, la notion d’imam telle que la voit le ministre de l’intérieur n’existe pas en islam. L’imam est en effet celui qui « se trouve en avant », c’est à dire celui qui dirige la prière, que ce soit dans une mosquée, dans une salle de prière ou chez lui. Il est choisi par ceux qui sont « derrière », en fonction de son âge, de son statut de chef de famille, ou de sa connaissance du Coran. Il peut changer à chaque prière, et une « institutionalisation » de celui qui dirige la prière est un non-sens contraire à la liberté inhérente à la religion musulmane.
Pourquoi, s’ingérer ainsi dans le culte de l’islam ? s’interroge Abdallah Zekri, le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui désapprouve la méthode de Darmanin. « Qu’il fasse un statut de curé, de rabbin, de pasteur protestant ! Il n’y a que l’islam et ça, je ne peux pas le supporter, je ne peux pas l’accepter», s’insurge-t-il.
Le risque est en effet grand de voir la quasi totalité des lieux de prières refuser cette « mise au pas », voulue par le ministre de l’intérieur pour, soit-disant, faire barrage à un islam intégriste qui est plus un fantasme qu’une réalité. Les sanctions qui seraient alors appliquées en cas de manquement risquent tout simplement de faire renaître « l’islam des caves » que les musulmans eux-mêmes avaient réussi à faire disparaître.
Certes, il est légitime de demander à ce que celui qui dirige la prière dans une mosquée, et prononce la « khotba », le sermon du vendredi, ait réellement les capacité pour le faire, et qu’une formation soit exigée à ce sujet. Mais pourquoi , alors, en confier la réflexion au Forif, cette instance de « dialogue » et non de décision, aux contours flous, créée par le ministre lui même, dont personne ne comprend réellement, ni la composition, ni le fonctionnement, ni la finalité ? En faisant cela, Gérald Darmanin engage un conflit de légitimité entre le Forif, le CFCM et la FIF, et un nouveau facteur de division entre les musulmans, ce qui, sous couvert d’une apparente volonté d’organisation, semble être sa stratégie depuis son entrée en fonction et la mis en avant de sa fumeuse théorie du « séparatisme islamique ».
Déjà, en 2021, sa proposition de « charte des principes » de l’islam de France, dont certains paragraphes paraissaient contraires à la liberté religieuse, n’avaient fait que semer la zizanie entre la majorité des fidèles et les quelques représentants associatifs qui avaient cru sincèrement bien faire en s’associant au projet du gouvernement.
Quant à la FIF, que Macron avait pourtant désignée comme la maîtresse d’oeuvre de la formation des imams dans le domaine du respect des « valeurs républicaines » et à laquelle il avait promis pour cela une allocation de 10 millions d’euros qui n’at jamais été versée, elle craint tout simplement pour sa survie. La fondation n’a plus actuellement que 40 000 euros en caisse, ce qui correspond à un mois de fonctionnement. Elle va, cette semaine, envoyer son préavis pour quitter ses locaux du 7e arrondissement. Son président, nouvellement réélu, Ghaleb Bencheikh, craint que ces manoeuvres gouvernementales n’aboutissent tout simplement à sa fermeture.
Mais quelquechose se trame peut-être en coulisse. Dans les milieux proches de l’Elysée, on chuchote qu’Emmanuel Macron commence à être sérieusement agacé par les échecs de Gérald Darmanin en matière de sécurité et par son hystérie anti-musulmane. Le fait qu’il ait pas obtenu le poste de premier ministre qu’il briguait est peut-être le signal d’une proche disgrâce du protégé de Nicolas Sarkozy. Même les ennuis judiciaires de ce dernier inquiètent Emmanuel Macron dont on souligne régulièrement sa proximité avec l’ancien président de la République.
Par ailleurs, le choix fait par le ministre de l’intérieur de miser toutes ses cartes sur le recteur algérien de la Grande Mosquée de Paris ne fait pas forcément les affaires du rapprochement avec le Maroc que tentent d’amorcer Macron et son ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné, lequel n’est pas dans les meilleurs termes avec son homologue de l’intérieur auquel il avait lancé, en août 2023 : « Les idées doivent d’abord passer avant les egos ».
Le prochain cafouillage de Darmanin sur l’islam, pourrait être son dernier. De toutes façons, rendez-vos est donné dans six mois… après les Jeux Olympiques !