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Pourra-t-on atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Trois pistes montrent que c’est possible

Pourra-t-on atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Trois pistes montrent que c’est possible

Dans un scénario qui sera rendu public le 26 octobre, négaWatt donne ses clés pour un monde neutre en carbone en 2050. Cette association composée de 25 experts indépendants met trois axes en avant pour tourner la page des énergies fossiles.

(Ouest France) - Atteindre la neutralité carbone en 2050, réalisable ou doux rêve inatteignable ? NégaWatt croit en la deuxième option. À quelques mois de l’élection présidentielle, l’association espère relancer le débat sur la transition énergétique, avec la cinquième édition de son scénario. NégaWatt, fondée en 2001 et financée par des adhérents, regroupe 25 experts indépendants impliqués dans différentes activités professionnelles liées à l’énergie.

Son dernier scénario ne sera publié en intégralité que mardi 26 octobre, mais les premiers éléments ont déjà été dévoilés. « Il est particulièrement nouveau car nous avons beaucoup travaillé sur les questions des ressources, des matières premières », précise Marc Jedliczka, l’un des porte-parole de négaWatt.

Pour venir à bout du carbone d’ici à 2050, l’association explore trois pistes dans son scénario. Explications.

1. La sobriété énergétique, une solution peu coûteuse

C’est l’un des axes portés par négaWatt depuis sa création en 2001. Le principe ? « La sobriété énergétique consiste à réduire nos consommations d’énergie et de matériaux en modifiant notre mode de vie à la fois individuel, mais aussi collectif », explique Barbara Nicoloso, autrice du Petit traité de la sobriété énergétique, contactée par Ouest-France.

Sur le plan individuel, cela peut prendre plusieurs formes : « Enfiler un pull plutôt que d’augmenter le thermostat dans son habitation, débrancher ses appareils électroniques en veille, acheter une petite voiture pour les trajets du quotidien et en louer une plus grosse à l’occasion pour les longs trajets, ou encore ne pas prendre un appartement de 300 m² pour deux personnes », énumère Marc Jedliczka de négaWatt. Pour lui, il faut partir du principe « qu’on n’a pas besoin de consommer de l’énergie. On n’a pas besoin de pétrole ou d’électricité. Ce dont on a besoin, c’est de s’éclairer, de se déplacer… » Et vivre comme des Amish ? « Pas du tout, répond Marc Jedliczka. Il s’agit d’adopter des comportements beaucoup plus responsables mais il ne faut pas que cela devienne contraignant. »

Sur le plan collectif, la sobriété énergétique passe par l’aménagement des territoires, avec le développement des transports en commun par exemple ou encore en centralisant les services dans un quartier pour limiter les déplacements. « Actuellement, nous vivons dans une société d’ébriété énergétique. Nous sommes totalement dépendants des ressources fossiles, on surconsomme l’énergie », appuie Barbara Nicoloso. Pour l’autrice, la société va être tellement perturbée par le réchauffement climatique que « la sobriété énergétique va s’imposer à un moment donné. L’idée est d’être dans une sobriété choisie, démocratique et organisée et qu’elle ne soit pas subie comme ça peut être le cas pour une certaine partie de la population aujourd’hui, parce qu’elles sont en situation de précarité énergétique ».

Pourtant, la sobriété énergétique peine à se faire une place dans le débat politique. À tort, estime Barbara Nicolo : « Beaucoup de décideurs pensent que les Français ne sont pas prêts à avoir des changements de modes de vie radicaux mais à partir du moment où on explique clairement les enjeux énergétiques climatiques, plusieurs choses montrent que la sobriété ressort comme une évidence chez beaucoup d’entre eux. »

2. Rattraper le retard sur la rénovation énergétique

Pour espérer atteindre la neutralité carbone, le scénario de négaWatt met l’accent sur l’efficacité en plus de la sobriété. L’un des chantiers consiste notamment à accélérer la rénovation des bâtiments, que ce soit les habitations mais aussi l’immobilier professionnel. « Il y a 34 millions de logements en France, estime Marc Jedliczka. Actuellement, 30 000 sont rénovés par an dans le respect des critères « Bâtiment basse consommation » (BBC). 800 000 rénovations annuelles sont nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050 », poursuit-il. Autant dire qu’on est loin du compte.

Selon le rapport de négaWatt, le bâtiment représente plus de 40 % de la consommation d’énergie. Marc Jedliczka insiste sur l’importance que les travaux de rénovation soient réalisés en une seule fois : « Faire cela par petits bouts coûte plus cher et ce n’est pas efficace », appuie-t-il. Mais ces rénovations ont un coût pas toujours supportable par les ménages. Le porte-parole de négaWatt n’est pas inquiet sur ce point : « Il y a déjà une batterie d’aides de l’État pour la rénovation énergétique, environ 5 milliards chaque année, estime-t-il. Le problème, c’est qu’ils sont mal utilisés. » Le scénario de l’association propose de simplifier l’accès à ces financements et de les réorienter intégralement vers la rénovation BBC.

La rénovation des habitations vise à réduire les consommations d’énergie, notamment de chauffage : « Ces économies financières peuvent sortir certaines personnes de leur précarité énergétique », souligne le spécialiste.

3. Les énergies renouvelables comme seul avenir ?

Là aussi, la France est en retard. Pourtant, un monde décarboné ne peut être imaginé sans un développement rapide et conséquent des énergies renouvelables. « Elles peuvent répondre à la totalité des besoins du pays en énergie », avance Marc Jedliczka. Dans le scénario de négaWatt, l’éolien devient la première source d’énergie. Viennent ensuite le biogaz, le photovoltaïque et le bois.

Par rapport à ses précédents travaux, l’association a revu à la baisse ses prévisions en matière de recours à la biomasse, en réduisant notamment les prélèvements de bois en forêt, en raison des incertitudes liées à l’avenir de ces écosystèmes fragilisés par le réchauffement. L’accent est mis sur le biogaz agricole : « Les installations de méthanisation jouent un rôle clé dans la transition », estime le porte-parole de négaWatt, notamment parce que le processus de méthanation permet de stocker de l’électricité sous forme de méthane. Cela vient compenser l’éolien et le photovoltaïque contraints dans leur production par les conditions météorologiques.

Une question se pose : quelle est la place du nucléaire dans le projet de négaWatt ? L’association plaide pour un abandon de l’EPR de Flamanville (Manche), dont la mise en service est prévue pour 2023, et estime la fermeture du dernier réacteur en 2045, un peu plus tard que dans son scénario précédent. « Étant donné que rien n’est fait sur le plan de la sobriété et de l’efficacité, on n’a pas le choix de repousser cette échéance », comme Marc Jedliczka. Pour lui, c’est aussi une preuve que l’association ne veut pas à tout prix fermer tous les réacteurs nucléaires, mais s’en passer progressivement à la plus courte échéance possible.

Avec ce scénario, la part d’énergies fossiles ne représenterait plus que 4 %, dont l’utilisation serait essentiellement concentrée pour l’industrie. La disparition totale de ces énergies polluantes semble inatteignable. « Mais on peut les réduire de façon drastique et changer les choses », plaide Marc Jedliczka. Le discours est le même du côté de Barbara Nicoloso : « On va clairement avoir du mal à les faire disparaître. Et lorsqu’on voit les enjeux géopolitiques et financiers que cela concentre, il faut rester lucide et continuer de faire vivre le débat sur le sujet. »

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