Lahcen BENSI - Aïcha ISNA, le nom qui lui fut donné à la naissance dans le douar "Lmdinat", commune d’Azgour, aux confins de Marrakech, ne fut que l’étincelle initiale d’une destinée vouée à la musique. Très tôt, elle comprit que la renommée ne naît pas des noms, mais du souffle de la passion et de l’éclat du talent. Ainsi, armée d’une volonté inflexible, elle grava son nom dans la mémoire vivante de la musique amazighe: Aïcha Tamrakchit.
Née au début des années soixante dans la tribu d’Igdmioun, elle grandit au rythme des danses et des chants ancestraux : Taskiwin, Ahwach N’tferkhin, où le corps et la voix ne font qu’un, où chaque mouvement est cadence et chaque geste, parole. Très tôt, elle devint consciente que la maîtrise du corps et du souffle est le cœur de tout "Rwais", et que la musique n’existe pleinement que lorsqu’elle s’incarne dans le geste, le souffle et l’émotion.
Au début des années quatre-vingt-dix, elle rejoignit la ville de "Houara" et intégra la troupe du Ris Mohamed Aziki en tant que danseuse, sous le nom d’Aïcha Tamzmizt. Dans cette période, elle découvrit que la danse n’est pas seulement un ornement pour les yeux, mais une prière du corps. Pourtant, elle ressentit bientôt l’appel d’une terre mythique: Dcheira, capitale du chant des Rways dans le Souss, où les talents se forgent dans le feu de la création authentique.
À Dcheira, elle côtoie les maîtres: Fatima Nachta, Lahcen Akhtab, Mbarek Aïssar, Mohand Ajoujguel, ainsi que Raïs Moulay Idar Lemzoudi à Marrakech et Hassan Aglawou à Casablanca. De ces rencontres, elle ne retiendra pas seulement les notes, mais l’écoute du silence entre elles, l’art du phrasé, la respiration du chant amazigh dans sa vérité la plus pure.
Entre l’ampleur du soprano et la profondeur de l’alto, sa voix se niche dans le mezzo-soprano avec une chaleur unique : un souffle qui jaillit de sa gorge sans jamais crier, ni faiblir, avançant avec l’équilibre d’une féminité à la fois tendre et puissante. Son timbre, précis et vibrant, épouse le contour des modes ancestraux (Achlhi, Amaakl, Agnaw) comme un fil conducteur entre passé et présent.
Tout au long de sa carrière, Aïcha Tamrakchit a produit plus de soixante albums et multiplié les collaborations avec les voix majeures de la musique amazighe : Mohamed Outhennaout, Elhoussein Amrakchi, Ahmed Abaamrane, Brahim Afroug. Elle a expérimenté sous divers noms (Bnat Izenzaren, Bnat Inzenkad, Bnat Irsmouken, Festival Agadir) avant de s’affirmer pleinement sous son nom, devenu symbole vivant de la modernité enracinée dans le patrimoine.
Ce qui distingue son parcours est sa capacité rare à unir la fidélité au Rwais originel et l’ouverture à la création contemporaine. Elle a su marier le Ribab et le tambour traditionnel aux textures modernes, donnant à la musique des Rways un souffle renouvelé tout en préservant l’âme des ancêtres. Ses chants parlent de l’amour, de la femme, de la patrie et de l’humanité, mais surtout de la continuité d’un art menacé : la voix de Tamrakchit est celle d’une gardienne, une sentinelle du rythme et du mode, une passeuse de tradition.
Aïcha Tamrakchit n’est pas seulement une voix du Souss, elle est le dernier rempart d’un art séculaire. Et aujourd’hui, le doute persiste: après elle et ses contemporaines, qui portera encore la flamme des Rways? Ou bien cette lumière, qui a brillé dans le ciel du Sud marocain, s’éteindra-t-elle en cendres dans la mémoire d’un art qui cherche son souffle?