Hicham TOUATI - On peut repeindre les murs, changer les fenêtres, moderniser les bureaux, mais si un patient ne peut pas obtenir une prestation aussi élémentaire que le remplacement d’un pansement après une opération, alors toute la réflexion sur la réforme sanitaire perd une part de son sens. Les citoyens ne franchissent pas le seuil d’un centre de santé pour admirer une architecture rénovée : ils viennent pour être soignés, rassurés, accompagnés, parfois dans la douleur, parfois dans l’inquiétude, toujours avec l’espoir que leur besoin ne sera pas renvoyé à plus tard.
Ce matin, dans le centre médical du quartier El Merja à Fès, un patient venu pour un geste banal: changer les pansements post-opératoires qui protègent ses sutures, s’est retrouvé face à une scène déroutante. Malgré la présence du personnel médical à l’intérieur du bâtiment, on lui a expliqué, avec une gêne perceptible, qu’aucun infirmier n’était disponible pour assurer le service. Impossible donc de réaliser la procédure. Impossible aussi d’obtenir une alternative immédiate. Le patient a dû repartir, avec ses inquiétudes, sa douleur, et ce sentiment étrange de n’avoir demandé pourtant rien d’exceptionnel.
Selon les informations recueillies, ce patient suivait le parcours habituel recommandé après une opération, convaincu que le centre public serait capable d’assurer ce service quotidien. La surprise a été d’autant plus lourde que l’absence d’un infirmier n’a pas seulement retardé une action médicale : elle a suspendu un processus de guérison, avec tout ce qu’il comporte de risques, de précautions et parfois d’angoisses.
Une mère de famille confie doucement :
« Nous ne venons pas ici par confort mais par nécessité. Lorsque mon fils a été opéré, le simple fait de devoir retourner plusieurs fois au centre pour un pansement était déjà un effort. Aujourd’hui, apprendre que personne ne peut le faire nous pousse vers les cliniques privées, alors que nous n’avons pas les moyens. Pourquoi est-ce si compliqué ? »
Un autre habitant, habitué des lieux, ajoute avec une voix lasse :
« Tout le monde parle de réformes, de modernisation, de nouvelles structures… mais si un service aussi simple disparaît dès qu’un infirmier est absent, où est la continuité de soin ? Le citoyen n’a pas besoin de discours, il a besoin d’un geste concret quand il en a besoin. Ce matin, ce pansement refusé, c’est une humiliation silencieuse. »
Et pourtant, ces derniers mois, plusieurs centres de santé à Fès ont été « corrigés », réhabilités, repeints, restructurés. Le public l’a remarqué : les couloirs sont plus propres, les bureaux mieux organisés. Mais derrière les murs neufs, une même difficulté persiste : la fragilité du service quotidien. Comme le souligne un jeune habitant du quartier :
« Nous voyons les améliorations matérielles, oui. Mais un centre de santé n’est pas seulement un bâtiment. C’est un lieu où des gestes essentiels doivent être garantis, sans discussion, sans hasard. On peut accepter d’attendre, on peut accepter un retard, mais pas la disparition pure et simple d’un acte de soin. »
La confiance dans le service public se construit dans ces moments minuscules, humains, presque ordinaires. Elle se perd de la même manière, quand le malade sent que son besoin devient un sujet administratif ou un empêchement technique. Derrière chaque pansement qu’on ne change pas, il y a une douleur qui continue, un risque qui augmente, et parfois une solitude qui grandit.
Le véritable défi commence ici : lorsque la plus petite demande de soin obtient une réponse digne, rapide, humaine. Car la santé publique ne se juge pas seulement à l’ouverture des grands hôpitaux, mais à l’humble capacité d’un centre de quartier à ne jamais laisser un patient repartir sans l’aide qu’il était venu chercher.