
Said Charchira, auteur, acteur et observateur de la scène migratoire, nous livre cette fois-ci, à partir d'un point de vue qu'il nous a soumis pour publication, une perspective critique et alarmante sur l'état actuel de la justice au Maroc. Directement depuis Düsseldorf en Allemagne et à travers une analyse perspicace, l'auteur soulève des interrogations cruciales relatives à la réforme judiciaire, à l'efficacité du système judiciaire et à leurs répercussions sur les droits et la confiance des citoyens. En mettant en lumière les nombreux défis auxquels est confronté le système judiciaire marocain, l'auteur plaide avec insistance en faveur d'une réforme en profondeur, visant à restaurer la crédibilité, l'équité et l'indépendance de la justice, et ainsi à renforcer la démocratie et l'État de droit dans le pays.
A l’heure de la libéralisation prônée par la nouvelle ère, les prémisses d’une politique confortant et
confirmant les promesses annoncées, de la démocratisation et d’une justice équitable et impartiale,
demeurent invisibles. Car, il semble, que les juges sont loin d’être les accompagnateurs d’un tel
mouvement, dit de « l’Infitah » (ouverture), initié depuis 1999.
En effet, malgré quelques reformes et la création de l’institut supérieur de la magistrature, qui devrait
permettre à notre système judiciaire d’être efficace et indépendant, cela reste au-dessous des attentes
des citoyens. D’ailleurs, la banque mondiale avait déjà dans un de ses rapports, sonné l’alarme sur la
nécessité d’une réforme du système judiciaire marocain, qui « doit être poursuivi par chaque maillon de
la chaîne judiciaire, depuis la formation initiale jusqu’à la réforme de la procédure, en passant par la
gestion des juridictions et la surveillance de l’exécution des jugements ».
Malgré, ces recommandations, notre processus législatif présente toujours des lacunes qui débouchent
sur des lois parfois mal formulées et controversés. D’autant plus, que la politique jurisprudentielle de
notre pays, reste marquée par le caractère pluriel de son système de référence. S’il est vrai, que le
recours à l’islam comme référentiel dépend à la fois du contentieux examiné et de l’époque considérée,
est de moins en moins utilisé aujourd’hui, ce qui émaille les sentences des juges n’a pas bougé d’un
pouce.
Quoi qu’il en soit, l’urgence de la réforme de notre justice est de plus en plus pressante. Il est temps
que notre pays se donne les moyens de relever l’un des plus grands défis de notre histoire
contemporaine, afin de « restaurer la confiance » des Marocains envers cette institution sensée être
indépendante, juste, équitable et impartiale.
Car, s’il n’y a pas encore de rupture entre le citoyen marocain et la justice, il y a beaucoup de suspicion
et de doutes. L’image de notre institution judiciaire, est assez négative et, c’est presque banal de le dire.
En effet, depuis longtemps, notre justice ne s’est jamais mise en conformité avec ce que les chartes
internationales s’accordent à définir comme un droit humain prioritaire. Pourtant, nos responsables le
savent : la liberté et le progrès sont indéniablement liés à un système judiciaire efficace, équitable et
indépendant.
Faut-il rappeler, qu’avant même la constitution de 2011, S.M. notre souverain, à travers ses discours,
voulait en faire une priorité. Plus d’une décennie après et, malgré quelques efforts, une réforme
profonde de la justice nourrit toujours le scepticisme.
Sans parler - pour ne pas être taxé d’opposant- de la tension entre le registre régalien et le registre
libéral, qui se fait sentir au niveau du rapport aux standards internationaux en matière judiciaire, des
procès politiques, qu’on croyait révolus sont réapparus. C’est que, même si le Maroc a affirmé au niveau
du préambule de la nouvelle constitution, son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont
universellement reconnus, il reste que, dans de nombreux cas, le juge et l’administration sont rares à
prendre au pied de la lettre ce préambule. Quant à la liberté de presse, elle s’est détériorée, puisque
notre pays est retombé en 2022 au 135e rang du classement mondial.
Mais, ce qui inquiète plus, les citoyens, c’est les dossiers de droit commun, qui ne cessent de les
décourager d’user de leur droit légitime d’avoir recours à la justice de leur pays. En effet, force est de
constater, que le manque de l’encadrement de l'enquête préliminaire, de l’impartialité de l’instruction
des dossiers, deux poids, deux mesures dans l’exécution des jugements, l’impunité dont bénéficie
souvent les délinquants et les escrocs, l’application, voire l’interprétation des Lois, etc. sont autant de
chantiers de plus que jamais d'actualité.
Si l’on prend, l’exemple de la « spoliation immobilière», plusieurs associations et juristes ont à plusieurs
reprises dénoncé « l’impunité » dont bénéficie les délinquants et les escrocs. A cet effet, je connais
personnellement plusieurs personnes, qui ont été victimes d’escroquerie. Elles ont toutes des contrats
conformes de « promesse de ventes » légalement établis par des notaires ainsi que des jugements
définitifs de transferts de propriété, (nakl malkia).
Certaines de ces personnes ont déposées des requêtes pour escroquerie contre les personnes qui leur
ont vendus ces biens immobiliers, et qu’elles ont revendus une deuxième, voire une troisième fois.
L’instruction de leurs dossiers a duré, plus de quatre années, avec à chaque fois l’accord d’un délai à
l’accusé pour solutionner l’affaire à l’amiable, (est-ce le rôle d’un juge d’instruction ?).
Malgré, que l’instruction de leurs dossiers était toujours en cours, certaines de ces personnes, ont été
évacuées « injustement » de leur demeure après avoir vécu des décennies avec leur famille et ce
malgré un jugement qui leur donne le droit au transfert à leur nom de la même propriété. Le dossier
d’instruction, d’une de ces personnes n’a été clôturé, que 14 jours, après son évacuation « forcée » de
son domicile et, ce après 25 années de domiciliation avec sa famille (preuves à l’appui).
Malgré, des requêtes déposées auprès des administrations judiciaires et notamment le parquet général,
les escrocs, dont certains sont des récidivistes, courent toujours. Une de ces personnes que je connais
très bien et qui se trouve être une des meilleures élites de la communauté marocaine de l’étranger, a
eu recours aux instances dédiées à cette communauté, et qui sont censés défendre les droits et les
intérêts de ses membres, conformément à leur statut et aux discours royaux, mais rien n’a été fait. Pire,
ces instances se sont avérées, dépourvus de la volonté d’intervenir dans le cadre de leurs prérogatives.
Pourtant, selon leur discours, elles sont censées protéger les droits des membres de cette communauté
!!
C’est dire la nécessité d’une réforme profonde de notre justice, car, depuis plusieurs années, les appels
à la justice et à l’État de droit pour satisfaire les attentes des citoyens se sont multipliés. C’est pour cela
qu’il convient de mettre à nouveau l’accent sur une justice crédible, efficace, juste, équitable et
indépendante, assortie de mécanismes de recours faciles à actionner, afin de redonner confiance aux
citoyens.
Faut-il le rappeler, que la « bonne justice », au même titre que la « bonne gouvernance » sont les socles
de la démocratie et de l’Etat de droit. En effet, il n’y a pas de démocratie et d'État de droits, sans une
justice, équitable, juste et impartiale. C’est pourquoi les citoyens s'inquiètent que l'on sorte du judiciaire
pour aller vers une sorte « d'impunité», ce qui risque de « déshumaniser » notre justice. Car, on le sait
parfaitement, quand la justice dysfonctionne, c'est toute la société qui en pâtit. Par conséquent, il faut
le souligner, dans l’état actuel et si rien n’est fait à court terme, le risque d'une dérive de notre système
judiciaire, devient de plus en plus probable.
Düsseldorf, le 4 Septembre 2023
Prof: S. Charchira