
Face à la crise persistante qui affecte le secteur des phosphates, un des fleurons de l'économie tunisienne et cause de pertes colossales à la communauté nationale, le gouvernement a pris une série de mesures visant à mettre fin à cette situation déplorable et à "préserver l'intérêt national".
Ces mesures ont été décidées lors d'un conseil ministériel restreint (CMR) tenu samedi sous la présidence du chef du gouvernement, Youssef Chahed, consacré à l’examen des développements de la situation dans le bassin minier de Gafsa, sud-ouest, unanimement qualifiée de "grave".
Le chef du gouvernement a souligné la nécessité de prendre les mesures nécessaires pour préserver l’intérêt national économique, indique un communiqué de la Primature.
Aussi, devant la gravité de la situation et l’arrêt de la production qui s’éternise, le chef du gouvernement s'est-il résolu à appliquer la loi.
Eu égard à l’arrêt de la production et du transport du phosphate durant de longues périodes, et aux difficultés financières auxquelles fait face la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG), et suite à l’interruption du dialogue sur la recherche de solutions pour la reprise des activités de la CPG, il a été décidé :
- La suspension de toutes les propositions relatives à l’emploi dans les sites de production à l’arrêt , le gel de tous les programmes de recrutement et d’emploi mis en place par la CPG, ainsi que ceux qu’elle se propose de lancer outre la suspension des résultats des concours d'embauche, jusqu’au retour de la production et du transport du phosphate à leur cadence habituelle.
- Le CMR a également décidé de charger les autorités compétentes de déterminer les responsabilités dans cette situation de blocage et le ministre de la Justice d’engager immédiatement des poursuites judiciaires contre quiconque viole la loi ou entrave la production et le transport du phosphate.
Le communiqué gouvernemental réaffirme que le droit à la protestation sociale est garanti tant qu’il est exercé dans le cadre de la loi, en avertissant, cependant, que l’entrave des activités des établissements publics et l’inhibition du travail par la force sont des actes punissables par la loi.
Tout en assurant de son souci total de protéger les droits et les libertés garantis par la Constitution, le gouvernement se dit déterminé à prendre toutes les mesures de nature à assurer l’application de la loi et préserver l’intérêt supérieur de la Nation.
Parallèlement, il réitère son engagement à accélérer le rythme de développement, à diversifier l’assise économique du gouvernorat de Gafsa à travers la mise en œuvre de tous les programmes de développement auxquels il s’est engagé, à lancer de nouveaux projets de développement en faveur de la région et à charger le ministre des Finances d’en assurer le suivi.
Enfin, le Conseil a salué les initiatives lancées par les composantes de la société civile, notamment l’UGTT et le rôle qu’elle ne cesse de remplir en vue d’aider à la recherche de solutions, à même d’assurer la reprise de la production et sa pérennité.
Cette prise de position ferme du gouvernement a été adoptée après de multiples tentatives de débloquer la situation par le dialogue avec les «sitinneurs» qui entravent les activités au sein du bassin minier de Gafsa dans le sud-ouest de la Tunisie.
Des réunions ont été tenues à cet effet par des membres du gouvernement et de dirigeants de la centrale syndicale, UGTT, au cours desquelles des propositions ont été avancées pour recruter un grand nombre de demandeurs d'emploi et lancer des projets de développement dans la région.
Pour apaiser la tension et répondre aux revendications de la population locale, il était question d’embaucher 7000 personnes dans la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et les sociétés environnementales et d'organiser un concours prévoyant le recrutement de 1700 agents dans l’entreprise publique, en plus d'autres initiatives destinées à booster le développement et à améliorer l'infrastructure régionale.
Toutefois, ces propositions ont été rejetées par les protestataires qui les jugeaient insuffisantes et considéraient qu'elles ne répondaient pas à leurs attentes.
La centrale syndicale a dépêché, à Gafsa, l'un de ses hauts dirigeants Bouali Mbarki, pour tenter de trouver un compromis avec les protestataires, mais en vain.
«Nous tenons à adresser un message aux citoyens de Gafsa, la CPG est un fleuron de la région et sa préservation est la responsabilité de tous. Avoir des revendications est légitime, avoir le droit de manifester est établi, avoir des attentes est compréhensible mais personne n’a le droit d’arrêter la production ou de geler n’importe quelle institution publique », a-t-il lancé.
Déjà en sureffectif, la CPG compte plus de 30.000 personnes entre cadres, agents et ouvriers.
Il est inconcevable d’alourdir la surcharger davantage en recrutant tous les demandeurs d'emploi, s'est alarmé un responsable de la compagnie.
Selon le ministre de l’Energie, des mines et des énergies renouvelables, Khaled Kaddour, rien que pour l'année 2017, les pertes engendrées par les sit-in et mouvements de protestations ont dépassé un milliard de dinars à la CPG (environ 415 millions de dollars).
L’arrêt pour une seule journée, de la production dans la CPG et le Groupe chimique tunisien (GCT), entraîne une perte de 3 millions de dinars (près de 1,25 millions de dollars), précise Romdhane Souid, directeur général des mines au ministère de l’Industrie.
La production du phosphate qui était de huit millions de tonnes fin 2010, a chuté de 40 à 50% ces dernières années, d’après le directeur commercial de la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG), Abderrazek Ratassi.
Le chargé de communication de la CPG, Mourad Sellimi, a qualifié la situation de blocage de tous les sites de production de la compagnie de "réel danger pour le pays", notant qu'elle "touche à la sûreté de l’Etat".
Selon lui, si les activités du bassin minier n'avaient pas été entravées durant les sept dernières années, le pays aurait pu se dispenser du recours à l'emprunt auprès du Fonds monétaire international (FMI).
La Tunisie a contracté un crédit de 2,9 milliards de dollars étalé sur quatre ans pour financer le budget de l'Etat.
Il a prévenu que pour le mois dernier, la compagnie a pu verser les salaires de ses milliers de salariés, mais qu’à partir du mois prochain, elle ne sera plus en mesure de le faire.
Epine dorsale de l’économie tunisienne, le secteur des phosphates contribue à hauteur de 3% dans le PIB du pays et représente 10% des exportations tunisiennes.
Romdhane Souid a fait observer que cette crise a, par ailleurs, causé la dégradation de la note souveraine du secteur et la perte de son statut sur le marché mondial.
Et de préciser que la Tunisie a perdu 50% de sa part dans le marché indien, 50% du marché brésilien, tandis que le marché turc a été totalement perdu.
Bouazza Ben Bouazza (AA)