
La nouvelle de la disparition de la grande militante politique Maya Jeribi, ce samedi 19 mai 2018, a profondément ému la classe politique et la société civile tunisiennes ! Tour à tour, plusieurs partis et personnalités politiques ont tenu à rendre hommage à l’ancienne secrétaire générale du parti Al Joumhouri.
Pour le chef du gouvernement Youssef Chahed, « la Tunisie perd aujourd’hui un de ses enfants, qui a dédié sa vie à la liberté et a fortement contribué à la naissance de la deuxième République tunisienne ». Le président de la République Béji Caïd Essebsi a rendu hommage à la militante Maya Jeribi, « qui a dédié sa vie pour la parole libre et la lutte pour la liberté, l’égalité, la démocratie et la justice ». Béji Caïd Essesbi affirme que l’histoire saura reconnaitre et préserver la place de la défunte dans le panthéon des personnages qui se sont battus pour une cause juste et qui n’ont jamais renoncé à leurs principes.
Le mouvement Ennahdha, salue de son coté la mémoire d’une « activiste courageuse, d’une femme politique remarquable, d’une journaliste engagée et d’une figure emblématique féminine sur la scène politique tunisienne ». Le mouvement Nidaa Tounes souligne de son côté « le combat courageux de feue Maya Jeribi contre la maladie, et rend hommage à la ténacité dont elle a fait preuve dans tous les combats qu’elle a mené en faveur de la démocratie, de la liberté et de la justice ».
Certainement sous l’effet de l’émotion, sa formation politique Al Joumhouri, a sombrement annoncé la disparition de son ancienne secrétaire générale et figure emblématique.
Le ministre de l’Agriculture Samir Taieb a réagi, au décès de la femme politique Maya Jeribi. S’exprimant depuis le domicile de la défunte où il est s’est rendu pour présenter ses condoléances, le ministre a appelé la classe politique à retenir des enseignements du parcours de la militante : « Maya Jeribi a tout donné pour son pays et son peuple, sans jamais penser à sa personne et à sa condition matérielle, nous devons prendre des leçons de son militantisme et de son engagement sans aucune contrepartie », a-t-il indiqué.
La société civile a également réagi à la disparition de Maya Jeribi. Ainsi, le Syndicat national des journalistes tunisiens a rendu hommage à une grande militante tunisienne, et à une icône qui a été la première femme à diriger un parti politique en Tunisie.
Hommage à Maya Jeribi, par Slah Grichi (AA)
On la savait malade, gravement malade, mais on la savait également battante et courageuse, capable de persuader son corps de tenir, de batailler et de vaincre son mal. Elle a sûrement dû le faire, jusqu'à l'épuisement...jusqu'à la fin.
Maya Jeribi est de ces femmes qui, dès le premier contact, impose respect et même admiration, qu'on soit de son bord ou de son opposé. Derrière sa voix douce, son extrême politesse naturelle et son allure frêle, on fait vite de découvrir l'assurance et la fermeté d'une femme forte par -et de- sa sincérité, ses convictions et son humanisme débordant.
Au début des années 1980, nous avons connu ce petit bout de femme au Club culturel Tahar Haddad de Tunis du temps de la mythique Jajila Hafsia (journaliste - écrivaine, animatrice culturelle et militante "réservée" des droits de la femme).
Elle faisait partie d'un groupe d'études sur la condition féminine, avant de fonder l'Association de recherches sur les femmes et le développement. Ici et là, elle faisait preuve d'un dynamisme étonnant, sans jamais élever la voix, se départir de son charmant sourire ou essayer de se mettre de l'avant.
Son bons sens, sa douceur et sa foi en ce qu'elle faisait poussaient à ce qu'on l'écoutât, se laissât diriger par ce qu'elle disait. Une meneuse de femmes et d'hommes -elle allait vite le prouver- malgré son air de poupée gracieuse aux yeux clairs et à la chevelure couleur d'épi.
Aussi n'allions-nous pas être étonné quand on a appris que cette jeune activiste sociale et féministe avait déjà milité au sein de l'Union générale des étudiants tunisiens (UGET) et adhéré à la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH), lorsqu'elle était étudiante en biologie -elle rêvait de faire médecine et secourir les gens- à la faculté des Sciences de Sfax (280 kilomètres au sud de Tunis), deux institutions dominées par la gauche, dont elle ne faisait pas partie.
En fait, elle était engagée dans l'humanitaire et le social, mais politiquement indépendante, tout en étant opposée aux choix des gouvernements bourguibiens. A ce propos, même les plus acharnés des Bourguibistes lui auraient prêté l'oreille, tant ses griefs et ses critiques étaient posés et exprimés sans fougue ni hargne, ni manifestes ni cachées.
Une nature d'oratrice, de négociatrice et de décideuse que Ahmed Néjib Chebbi allait découvrir et ne pas hésiter à en profiter, en l'associant à la fondation en 1983, de sa formation politique centriste le Rassemblement socialiste progressiste (RSP) qui deviendra en 2001 le Rassemblement démocrate progressiste (PDP). Elle y a trouvé des raisons convaincantes pour sevrer son indépendance politique.
Elle s'y vouera corps et âme, malgré ses charges d'employée onusienne, responsable de la collecte des fonds et de la communication à la section Tunis de l'UNICEF. Maya Jeribi est étincelante en loquacité, débordante de dynamisme et d'efficacité, au point qu'on la disait la "carte gagnante" ou la "faire-valoir" de Chebbi.
Et c'est tout naturellement qu'elle fera partie du Bureau politique du RSP et du PDP, avant de succéder à son aîné à la tête de ce dernier en 2006. Elle sera également, des années plus tard, Secrétaire générale d'Al Jomhouri (le Républicain), une fusion entre le PDP, Afek Tounis (Horizons de la Tunisie) et le Parti républicain.
La seule élection qu'elle n'a pas gagnée eut lieu en 2011, lorsqu'elle a brigué, pour la forme, la présidence de l'Assemblée constituante dont elle était membre. Tout le monde savait, à commencer par elle, qu'après le scrutin et dans le cadre de la Troïka qui se composait, la majorité allait octroyer le poste à Mustapha Ben Jaâfar, la présidence de la République à Moncef Marzouki et se réserver celle du Gouvernement. "C'est pour le principe de la démocratie et pour trancher avec l'habitude du prétendant unique contraire à la démocratie", dira-t-elle.
Fidèle à ses principes et à son engagement politique et humanitaire, correcte à l'extrême avec tous, elle est la femme politique qui aura marqué le plus l'opinion publique ces dernières trente années. Les sondages l'ont plébiscitée la plus sincère et la plus clean de ses homologues.
L'Etat le lui a reconnu en en faisant Chevalier (2014) puis Commandeur (2015) de l'Ordre de la République. La moindre des gratitudes pour une femme qui a toujours servi son prochain et son pays, qui a su rester au dessus de la mêlée, en sachant dire Non dans le respect de l'éthique, et dans l'orgueil, qui a accepté les heurs et les malheurs du jeu démocratique et qui a tiré sa révérence dans la dignité des grands.
Nous nous inclinons devant ta dépouille Maya. Repose en paix et puisse Dieu t'accueillir dans les prairies de son immense Paradis.