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Sondage : dans le monde, une personne sur trois souhaite émigrer

dans le monde, une personne sur trois souhaite émigrer

D’après une étude de l’institut de sondage Gallup, un tiers des personnes dans le monde préféreraient vivre dans un autre pays. Interview avec Kancho Stoychev, le président de Gallup International, réalisé par la radio internationale allemande (Deutsche Welle).

Gallup International a mené ce sondage dans 57 pays. 36% des personnes interrogées ont émis le souhait d'émigrer. Comment ce chiffres a évolué par rapport aux précédents études sur le sujet ? 

Kancho Stoychev : Tout d'abord, notre question ne cherchait qu’à mesurer la volonté potentielle générale de changer de pays de résidence et à condition que les formalités administratives légales ne constituent pas un obstacle. En d'autres termes, nous avons voulu dresser un tableau des satisfactions et insatisfactions à l'égard de la vie dans un pays donné, plutôt qu'à identifier une décision immédiate de le quitter. Par ailleurs, nous avons déjà des statistiques sur les chiffres réels de l'émigration pour chaque pays.

Les gens migrent pour de nombreuses raisons. La migration est dans une certaine mesure normale et, dans de nombreux cas, positive. Notre étude révèle qu’en moyenne environ un tiers de la population mondiale adulte serait prête à émigrer. Dans les circonstances actuelles, il s’agit probablement de la norme. Notre indicateur est certes très général. Néanmoins, il donne une bonne indication de la perception subjective de la relation entre le lieu de vie d'une personne et la qualité de vie qu'elle espère ou désire.

Nous avons ainsi enregistré une légère augmentation du potentiel d'émigration par rapport aux études précédentes. Ce n'est peut-être pas vraiment une surprise. Les jeunes générations - y compris celles en Europe - sont de plus en plus mobiles. Les populations urbaines pauvres dans de nombreuses régions du monde - en particulier dans le monde dit en développement - cherchent désespérément à partir pour une vie meilleure. Les personnes très qualifiées originaires de plus petits pays ne voient souvent pas assez de potentiel pour développer leurs compétences sur un petit marché.

Evidemment, en période de guerre et de crise économique mondiale, les incertitudes augmentent et la migration devient davantage une option envisagée. Nos résultats ne sont donc pas surprenants. Plus les gens sont jeunes et pauvres, plus le potentiel de migration augmente.

Vos chiffres montrent que le potentiel d’émigration est plus fort dans les pays à faibles revenus. En revanche, dans ces pays, le niveau de revenu, d’éducation ou de profession individuel influe peu sur le souhait d’émigrer. C’est le revenu général du pays qui qui semble jouer le rôle le plus important. 

Il n'est pas surprenant qu'au niveau national, les personnes originaires de pays à faibles revenus souhaitent émigrer vers un pays où le niveau de vie est plus élevé. Les gens comparent toujours. Naturellement, ils veulent une vie meilleure, mais pas nécessairement parce que leurs conditions de vie actuelles sont mauvaises.

Toutefois, au niveau personnel, ce sont les conditions dans lesquelles on vit qui comptent. Il est donc tout à fait compréhensible et normal d'émigrer vers un pays qui offre de meilleures possibilités, de meilleures conditions, plus de reconnaissance ou encore de meilleures chances de gagner plus d'argent.

De nos jours, la migration est une question de visibilité, de comparaisons et de choix, ainsi que de facteurs traditionnels tels que le niveau de vie. La migration est plus une question de mobilité que de nécessité, ce qui est une conséquence inévitable de la mondialisation.

L’enquête montre que davantage de personnes souhaitent migrer depuis les pays de l'Union européenne (UE) que depuis les pays tiers. Pourquoi en est-il ainsi ?

Il faut d’abord regarder quels pays de l'UE et quels pays tiers ont été interrogés. La migration au sein de l'UE est constante. De nombreuses personnes dans l'UE déclarent qu'elles pourraient émigrer, simplement parce qu'elles en ont les moyens. Dans ce cas, la migration se fait principalement d'un pays de l'UE vers un autre. La mobilité dans l'UE est dynamique. Elle fait également partie des libertés et des droits des citoyens de l'UE.

Dans les pays non européens couverts par notre enquête, à savoir l’Arménie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kosovo, la Moldavie, la Macédoine du Nord, la Russie et la Serbie, les conditions de mobilité et les orientations géopolitiques sont différentes. Les gens se demandent s’il est possible de d’émigrer, et si oui vers quels pays.

Il n'y a pas de chiffres pour l'Ukraine dans votre étude. Avez-vous évité l'Ukraine à cause de la guerre ?

Malheureusement, la guerre rend difficile la réalisation d'une enquête en Ukraine. On pourrait également s'interroger sur la pertinence des données obtenues car environ un tiers de la population est déjà partie. Il serait beaucoup plus instructif de savoir combien de personnes vont rester en Ukraine et combien vont revenir. Mais cela reviendrait à se concentrer sur l'Ukraine ; le but de notre sondage était d’obtenir une comparaison globale.

La Moldavie n'est pas seulement l'un des pays les plus pauvres du sud-est de l'Europe, mais aussi celui qui est le plus menacé par l'agression de la Russie contre l'Ukraine. Pourtant, vos chiffres montrent que seulement 23 % de la population souhaite partir, alors qu’ils sont par exemple près d’un seul deux en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine du Nord.

Tous ceux qui voulaient émigrer l'ont déjà fait. De plus, la guerre a également motivé certaines personnes à rester et à protéger leur pays. Il y a peut-être aussi des gens qui, pour une raison ou une autre, attendent quelque chose de positif. Enfin, il n'est pas très évident de déclarer dans un sondage que vous êtes prêt à tourner le dos à votre pays de naissance dans des moments difficiles

La Bosnie-Herzégovine et la Macédoine du Nord sont deux cas totalement différents. L'adhésion à l'UE de ces deux pays est encore très éloignée et les gens ne veulent plus attendre. Si vous avez le sentiment que l'endroit où vous vivez se détériore depuis trop longtemps, la question clé n'est pas de savoir pourquoi vous devriez partir mais pourquoi vous devriez rester. Dans le cas de ces deux pays, le nombre de personnes qui souhaiteraient émigrer est environ 50 % plus élevé que la moyenne dans l'UE.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreux pays européens ont connu un afflux important de personnes en provenance de Russie. Il s'agit de Russes qui veulent échapper à la mobilisation, qui s'opposent à la guerre ou qui aspirent à une société plus démocratique et ouverte. Pourtant, votre enquête indique que seuls 15% de la population russe souhaite émigrer. 

Ce n'est pas surprenant. De nombreuses études ont montré des niveaux élevés de patriotisme en Russie et un soutien important à ce que nous rejetons fermement en Europe. Historiquement, la Russie a souvent connu d’importantes vagues de solidarité nationale dans les périodes difficiles. N'oublions pas que le récit dominant y est totalement différent de celui de l'Occident et que des millions de Russes qui n'approuvent pas les événements actuels sont déjà partis.

Les chiffres très bas pour des pays comme le Vietnam ou l'Inde est encore plus surprenant...

Ces deux pays ont connu une croissance constante au cours de la dernière décennie. La volonté de quitter une équipe performante n'est jamais très élevée. Et n'oublions pas les aspects culturels et religieux, les forces identitaires nationales, les traditions, etc. En Occident, nous sommes encore extrêmement eurocentriques ; nous croyons encore que nous sommes le centre du monde. La vérité historique est que notre domination a été relativement brève par rapport à des pays comme l'Inde et la Chine, mais aussi la Perse, Babylone, Byzance...

Kancho Stoychev est président de Gallup International (GIA), un réseau international d'études d'opinion et de marché. Depuis 1979, les sondeurs du GIA mesurent l'espoir, le bonheur et les attentes économiques dans le monde entier.

Auteure : Bettina Marx

Source : dw.com

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