
Arrivé en tête des élections législatives en Italie dimanche 25 septembre 2022, le parti post-fasciste de Giorgia Meloni promet de durcir sa politique. Des choix qui pourraient impacter toute l’Europe en termes de flux migratoires estime le quotidien La Nouvelle République.
(La Nouvelle République) - Elle n’est pas encore à la tête du gouvernement mais prépare déjà sa nouvelle politique migratoire. Giorgia Meloni est arrivée en tête des élections législatives en Italie dimanche 25 septembre, en tant que cheffe de file du parti post-fasciste Fratelli d’Italia.
Probable future ministre, elle promet de durcir les règles. « La fête est finie, l’Italie va commencer à défendre ses intérêts nationaux », avait-elle prévenu avant même de connaître l’issue du scrutin.
« Blocus maritime »
Marchant dans les pas de l’ancien ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, Giorgia Meloni veut serrer la vis en termes d’immigration. Elle va même encore plus loin, avec l’idée d’un « blocus maritime ».
Objectif : établir une « mission européenne » sur le sujet, pour « mettre un terme aux départs illégaux vers l’Italie », espère-t-elle. Un projet qui pourrait se heurter à sa propre coalition puisque des avis dissidents commencent déjà à émerger.
Au regard du droit international, « un blocus total s’annonce très compliqué », selon Camille Le Coz, analyste à l’Institut des politiques migratoires. Giorgia Meloni cherche à établir des accords avec les autorités nord-africaines, « m ais elle le déclare sans concertation préalable avec ces pays. En cas d’asile non obtenu par exemple : comment organiser le retour de ces migrants ? Les négociations s’annoncent difficiles ».
Ce projet de blocus est aussi « hypocrite », selon le chercheur belge spécialiste de l’immigration François Gemenne. « Les migrants ont un poids non négligeable dans l’économie du pays, dans des secteurs clés comme le bâtiment, le gardiennage ou encore la restauration ».
L’Espagne comme second choix
Limiter l’accès à l’Italie ne limitera pas pour autant l’accès à l’Europe. « Ce qu’on voit à chaque fois quand on complique l’accès à une route, c’est que d’autres routes se déploient. Dans ce cas, les passeurs s’organisent très rapidement », observe le démographe et géographe Gérard-François Dumont, spécialiste des migrations.
Les flux pourraient se reporter ailleurs, notamment sur l’Espagne, selon François Gemenne. « Aujourd’hui, le pays est devenu la principale porte d’entrée sur l’Union européenne. Ça pourrait encore s’accentuer avec les conséquences de la politique de Giorgia Meloni. »
Pas plus tard qu’en juin, près de 2.000 migrants ont essayé de passer la frontière espagnole à Melilla. Au moins 23 personnes sont décédées.
Le risque de « faire le jeu des passeurs »
Le report des flux migratoires vers l’Espagne fait craindre un voyage encore plus dangereux pour les migrants, au risque de « faire le jeu des passeurs », selon la chercheuse Camille Le Coz.
Car qui dit changement de route dit changement de prix. On estime qu’un passage entre la Libye et l’Italie coûte à ce stade entre 2.000 et 6.000 euros par personne. « Vers l’Espagne, la traversée est plus longue, plus dangereuse, et sera donc plus chère », regrette François Gemenne.
Tensions avec la France
« Depuis 2015-2016, l’un des principaux sujets de division entre les États membres de l’Union européenne, c’est l’immigration. Les pays de l’Est ne s’impliquent pas, ceux du Sud se disent 'négligés' face à l’afflux de migrants, ceux du nord accueillent mais pas trop… », note Camille Le Coz.
Les choix de Giorgia Meloni pourraient accroître les tensions déjà exacerbées en 2018 entre la France et l’Italie sur le sujet de l’immigration, notamment sur la frontière alpine.
« Aujourd’hui il n’existe aucun accord de solidarité entre les pays pour gérer l’accueil des migrants, et la tension reste forte à la frontière », remarque Gérard-François Dumont.
« L’Italie prend des décisions unilatérales. Certaines ont été soutenues par l’UE comme l’accord avec les garde-côtes libyens (censé encadrer les opérations de sauvetage, mais qualifié d’anti-migrants par des associations, ndlr) mais cette mesure a fait l’objet d’une telle couverture médiatique négative que nul ne sait si l’Italie sera soutenue dans ses prochains choix », estime Camille Le Coz.
Dans l’Union Européenne, Giorgia Meloni pas si isolée
Pour autant, François Gemenne ne s’attend pas à une opposition en bloc du côté de l’UE. « Contrairement à ce qu’on peut penser, Giorgia Meloni n’est pas si isolée que ça. Elle bénéficie d’alliés européens de poids, à commencer par Viktor Orban en Hongrie. »
Autre soutien potentiel : la Suède, qui enregistre une percée historique de l’extrême droite. « Les gouvernements danois et belge sont assez durs eux aussi sur les questions migratoires. Finalement, ce sont presque les pays les plus 'ouverts' en termes d’immigration, comme la France ou l’Allemagne, qui deviennent isolés. »
Il existe un écueil cependant pour la chercheuse Camille Le Coz : que l’accueil des réfugiés ukrainiens serve de « leçon » pour les États membres. « On observe une bonne coopération entre les différents pays, même du côté de la Pologne et de la Hongrie qui étaient au départ des États frileux sur le sujet. On reste sur un 'exploit', qui montre qu’il est possible de mettre en place un système d’accueil efficace. À condition, bien sûr, que les politiques de l’Italie ou de la Suède ne renversent pas la tendance. »
Margaux MALINGE (La Nouvelle République)
L’institut national de statistiques italien (Istat) estime que 2,5 millions d’immigrés en situation régulière peuplent l’Italie. Ils représenteraient alors plus de 10 % de la main-d’œuvre dans des secteurs clés comme le BTP, le gardiennage ou encore la restauration.
Durant la pandémie de Covid-19, des travailleurs venus du Maroc ou de Roumanie ont été appelés afin de pallier le manque de main-d’œuvre étrangère, notamment dans le secteur agricole.
Alors que l’Italie voit le vieillissement de sa population s’accélérer, le nombre de ses habitants pourrait baisser de 20 % en l’espace de 50 ans, selon les prévisions de l’Istat. La présence des migrants apparaît alors salutaire pour la démographie du pays.
L’an dernier, l’Istat mettait en garde contre la chute de la population italienne, pour le financement des retraites et du système de santé.