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Info ou intox ? Un article du New York Times alerte sur l’exil des musulmans de France

Info ou intox ? Un article du New York Times alerte sur l’exil des musulmans de France

Un article du New York Times évoque l'émigration de jeunes musulmans confrontés au racisme, lassés d'être devenu un thème de campagne, qui décideraient donc d’aller vivre ailleurs, et notamment en Angleterre. Info ou intox ?

Dans ses colonnes, le média a en effet publié un article intitulé «Le départ en sourdine des musulmans de France» («The Quiet Flight of Muslims From France» dans la version originale en anglais), qui évoque une jeunesse musulmane lassée d’être prise à partie, confrontée à la discrimination et qui s’exile vers d’autres cieux, notamment en Angleterre.

«Cela fait des années que la France perd des professionnels hautement qualifiés partis chercher plus de dynamisme et d'opportunités ailleurs», explique l’article, poursuivant que «parmi eux, d’après des chercheurs universitaires, on trouve un nombre croissant de Français musulmans qui affirment que la discrimination a été un puissant facteur de leur départ et qu’ils se sont sentis contraints de quitter la France en raison d’un plafond de verre de préjugés, d’un questionnement persistant au sujet de leur sécurité et d’un sentiment de non-appartenance».

Le journal dénonce un silence des politiciens et des médias qui «n’évoquent ce flux, alors même qu’il témoigne, selon les chercheurs, de l’échec de la France à garantir un ascenseur social même aux membres les plus brillants de l’une de ses plus importantes minorités, d’une “fuite des cerveaux” de ceux qui pourraient servir de modèles d’intégration.»

Cet article qui a largement été partagé et commenté semble cependant relever davantage de l'intox que de l'info. En effet, le quotidien se base sur une étude universitaire effectuée auprès de musulmans ayant déjà quitté la France pour étayer ses arguments, mais les résultats de cette étude ne sont pas présentés. 

Il existe bel et bien un lien dans l’article qui renvoie à cette étude, mais en réalité, il fait seulement référence à un questionnaire auquel ont supposément répondu les personnes interrogées. Le seul chiffre donné dans l’article parle d’un groupe Facebook regroupant 2500 Français musulmans vivant en Angleterre.

Info ou intox ? Plutôt intox.

Sur France Culture, le journaliste Guillaume Erner prend position : c'est plutôt de l'intox.

Cet article évoque donc une émigration de jeunes musulmans confrontés au racisme, lassés d'être devenu un thème de campagne, qui décideraient donc d’aller vivre ailleurs, et notamment en Angleterre. Un article évoquant un “climat” : le racisme anti musulman est un phénomène évidemment documenté, et cet article a eu d’autant plus d’écho que ce week-end, Valérie Pécresse a été la troisième candidate à la présidentielle à reprendre à son compte l’expression de “grand remplacement”. Un tel contexte contribue évidemment à stigmatiser les musulmans, d’autant que les polémiques à ce sujet se succèdent.

Pour autant, le phénomène dont parle ce papier demeure à documenter. Il est notamment question d’une étude universitaire auprès de musulmans ayant déjà quitté la France. Mais le New York Times ne livre aucun résultat de cette étude, difficile donc de se faire une opinion à son sujet.

Le lien proposé pour découvrir cette étude aboutit non pas au résultat de l’étude, mais au questionnaire, auto administré. Quant aux personnes interrogées pour documenter cet exil de jeunes musulmans, parmi les quelques unes interrogées, l’une est l’écrivain et scénariste Sabri Louatah, invité dans Les Matins, parti à Philadelphie il y a quelques années en raison du racisme anti musulman, cela a donc toujours été son discours.

Une autre personne interrogée est Rama Yade : le papier explique que son échec à la présidentielle de 2017, elle avait été candidate, l’a incité à quitter le pays - disons qu’il s’agit là d’un cas particulier.  L’article parle également d’un groupe Facebook de 2500 Français musulmans vivant en Angleterre, et c’est le seul chiffre donné pour documenter le phénomène, compliqué de l’interpréter sachant qu’il y a environ 600.000 Français en Angleterre.

Tout cela pour dire que cet article parle d’un phénomène plausible vraisemblable, mais qu’il ne quantifie en rien, et qu’il est dans ces conditions difficile d’apprécier. Une approche similaire avait été consacrée aux juifs émigrants en Israël suite aux attentats antisémites, avec un pic en 2015. Mais sur le temps long, difficile de savoir comment ce chiffre évolue. Et pour ce qui concerne les musulmans de France, il faudra encore une étude pour apprécier le phénomène. Car ce n’est pas parce que l’on perçoit les causes d’un phénomène, en l'occurrence les discriminations dirigées contre les musulmans, que l’on est capable d’en apprécier les conséquences.

En attendant, ce que l’on peut dire, la seule nouveauté, c’est que le New York Times en parle. Et on est en droit de se demander à qui profite cette intox, au moment où l'élite européenne quitte la Grande-Bretagne en raison des contraintes du Brexit.

Lire l'article contesté sur le site du New York Times

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