
La page des souvenirs est aujourd'hui consacrée à l'épisode surprenant qu'a connu le chanteur égyptien Abselhalim Hafez le 10 juillet 1971 à Rabat. C'est Ghita Zine, journaliste marocaine indépendante, qui rappelle les faits pour Yabiladi.
Au Maroc, le chanteur et comédien égyptien Abdelhalim Hafez vécut une des peurs de sa vie. Invité à l’occasion de l’anniversaire du roi Hassan II, il se retrouva pris en otage dans les studios de la radio nationale à Rabat, lors de la tentative de coup d’Etat du 10 juillet 1971.
Le Moyen-Orient donna naissance à des stars emblématiques de la musique classique arabe. Jusqu’à la fin des années 1960, leur art s’exporta avec succès en Afrique du Nord et surtout au Maroc. En effet, sous le règne de Hassan II (1961 – 1999), un grand intérêt fut porté à la production artistique égyptienne dans le royaume.
Littérature, films, pièces de théâtre et musique furent rapidement appropriés par une partie de la génération de l’époque, surtout que Hassan II invitait volontiers les égéries du cinéma et du chant égyptiens à son palais. Comédiens et auteurs-compositeurs prenaient ainsi le large depuis le Nil pour poser pied au Maroc. Leur accueil, puis leur rencontre avec le public, revêtaient des aspects de célébration nationale.
Abdelhalim Hafez (1929 – 1977), Farid Al Atrach (1910 – 1974) ou encore Oum Kalthoum (1898 – 1975), furent partie de ces guest-stars qui se rendirent au pays, pour se produire, chanter et surtout rencontrer le roi dans le cadre de réceptions et de veillées musicales. Dans ce sens, la forte relation entre Hassan II et Abdelhalim Hafez marqua les esprits de l’époque.
L’anniversaire de juillet 1971
Chanteur internationalement connu pour ses films et surtout pour ses chansons d’amour, l’artiste s’était rendu au Maroc à plusieurs reprises. A chacune de ces visites, il insistait pour rencontrer Hassan II. Des photos ou encore des passages à la radio immortalisaient ainsi ces moments. Mais le voyage d’Abdelhalim Hafez en juillet 1971 à Rabat fut le plus marquant de sa carrière et il en retint surtout des souvenirs glaçants.
En effet, la vedette égyptienne fut invitée par le souverain, alors que le Maroc vivait l’un des moments les plus tendus sur le plan politique. Dans un entretien accordé au journal Al Ayam, le médecin personnel d’Abdelhalim Hafez rappelait quelques détails de cette visite, marquée par la tentative de coup d’Etat du 10 juillet 1971.
Aux côtés d’autres chanteurs égyptiens, acteurs et actrices, il fut invité à se produire à l’occasion du 42e anniversaire de Hassan II.
«La nuit précédant cette fête, le Palais abrita une réception, au cours de laquelle Fayza Ahmed, Abdelhalim et Mohamed Abdelouahab étaient attendus pour chanter, racontait le médecin. Le lendemain, le roi avait prévu de convier Farid Al Atrach, Mohamed Abdelouahab et Abdelhalim Hafez à un déjeuner et il allait présider l’orchestre de musique le jour de la fête.»
Aussi le roi chargea la vedette égyptienne d’enregistrer une chanson patriotique. De ce fait, Abdelhalim Hafez ne put assister au déjeuner, car il devait se rendre aux studios de la radio nationale à Rabat pour travailler son morceau. Mais pendant qu’il s’attelait à la tâche, le Palais royal de Skhirat était attaqué par des membres de l’armée qui menèrent une tentative de coup d’Etat militaire.
Bloqué par les militaires
Le Palais fut pris pour cible, dans un le cadre d’une stratégie menée par le général Mohamed Medbouh et le colonel M’Hamed Ababou. Pendant ce temps à la station de radio, Abdelhalim Hafez fut retenu de force. «Il était à l’intérieur et on s’inquiétait pour lui, rappela son médecin à Al Ayam. On demanda à un fonctionnaire de l’ambassade d’Egypte de nous accompagner».
Alors que les militaires assuraient que la situation était sous contrôle dans le studio, le chanteur égyptien était contraint de lire un communiqué annonçant le coup d’Etat. «Dans leur studio de répétition où le chanteur était avec le compositeur marocain Abdeslam Amer, on forçait Hafez à lire la déclaration ; il refusa», se rappela le médecin. Et d’ajouter :
«Il leur disait: ‘Je vous recommande de ne pas mêler l’Egypte à cette histoire’. Ils lui firent confiance. Heureusement qu’ils ne l’avaient pas tué.»
Un voyage pour le moins inoubliable
Après être sorti indemne de la tentative du coup d’Etat, Abdelhalim Hafez resta au Maroc pendant une longue période, contrairement aux autres chanteurs égyptiens qui choisirent de rentrer chez eux tout de suite après les faits. Selon le récit de son médecin, l’artiste avait insisté pour rester et revoir Hassan II.
Cependant, celui qui fut surnommé le rossignol brun n’était pas le premier chanteur égyptien à tomber sous le charme du Maroc. Bien avant lui, Farid Al Atrach, qui était également présent lors de la tentative de coup d’Etat, n’était pas sa première visite au royaume.
En janvier 1951, déjà, le chanteur s’était rendu au pays et rencontra le sultan Mohamed Ben Youssef (1927 – 1957, puis roi 1957 – 1961). Dans une rare interview accordée à la radio marocaine, Farid Al Atrach exprima son bonheur de visiter le pays, tout en faisant l’éloge du sultan pour qui il se produisit lors d’une soirée privée : «Je suis honoré et touché par cette rencontre et je remercie le souverain de m’avoir décoré du Wissam alaouite.»
Récit de Ghita Zine
Né le 21 juin 1929 à Al-Hilwat (village de la province d'Ash Sharqiyah en Égypte, Abdel Halim Hafez est très populaire dans le monde arabe des années 1950 jusqu'au milieu des années 1970, il fut surnommé par les médias arabophones « al andalib al asmar » (« le rossignol brun »). Considéré comme l'un des plus grands chanteurs et acteurs de comédies musicales arabes des années 1960 il continue de marquer fortement l'histoire du chant oriental.
Contemporain de géants tels que Oum Kalthoum, Mohammed Abdel Wahab, Farid El Atrache, il s'est distingué d'eux en apportant un nouveau souffle au « tarab » - art de la chanson. Alliant à la fois une fidélité à l'esthétique arabe traditionnelle ainsi qu'une grande modernité dans son chant (inspiré des techniques dites de "crooner") et dans sa tenue sur scène, très stylée et rappelant le maintien, l'hexis d'un Sinatra, il a su littéralement créer un style qui fit école et qui forma une sorte d'archétype considéré aujourd'hui comme un modèle pour de nombreux artistes.
Il meurt le 30 mars 1977 en laissant en héritage près de 300 chansons, d'amour pour la plupart, mais aussi religieuses et patriotiques. Le rossignol brun a aussi tourné 16 films, dont le dernier, Abi fawq el shajara, est sorti en 1969. Ses chansons les plus célèbres sont Zay el hawa, Gana el hawa, Ahwak, Fatet ganbina, Sawah, Bilomoni leih, Nebtedi mnin el hikaya ou encore l'immense Qariat el fingan (de N. Qabbani et M. Mougy). Cette chanson est narrée par une sorte de voyante, qui s'adresse à un jeune homme et évoque sa vie future, sa bien-aimée qu'il cherchera toute sa vie mais qu'il ne trouvera jamais. Certains considèrent évidemment que cette femme - comme tous les personnages aimés évoqués dans ce genre de chansons - est une métaphore d'autre chose, du sens de la vie par exemple, et sa quête, comme celle du Graal, tragique par définition, expliquant la tonalité tragique générale de ses chants.