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"En France, l’hiver prochain sera algérien", une tribune d'Azouz Begag

C’est dans un contexte intérieur et international très tendu que le président Macron choisit l’Algérie pour sa première visite d’État. Le geste est fort. Comment l'interpréter ? Voici le point de vue d'Azouz Begag, écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie au CNRS.

(Azouz Begag) - Le président Emmanuel Macron est en Algérie du 25 au 27 août. Officiellement, sa visite d’État a pour objectif de «renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux et poursuivre le travail d’apaisement des mémoires».

Le président français s’était déjà rendu à Alger en 2017, au début de son mandat. Il avait alors marqué la relation franco-algérienne en qualifiant la colonisation de «crime contre l’humanité». Il avait soulevé l’ire de la droite et de l’extrême droite, une réaction qui l’avait alors poussé à déclarer que la France ne devait plus être «otage» du passé. En cet été 2022, à l’aube d’un second mandat semé d’embûches, il répond à une invitation à Alger de son homologue, Abdelmadjid Tebboune.

Au programme des discussions bilatérales, le travail, l’amitié, la jeunesse et l’avenir, autant de mots taillés sur mesure par le Quai d’Orsay, destinés à formuler avec réalisme une redéfinition de la relation bilatérale imposée par une nouvelle donne mondiale. En 2021, la sérénité de cette relation avait été secouée. Dans une série de couacs, de malentendus et de tensions, M. Macron avait critiqué la «rente mémorielle» entretenue autour de la guerre d’indépendance par le système «politico-militaire» algérien et nié l’existence d’une «nation algérienne» avant la colonisation. L’ambassadeur d’Algérie à Paris était rappelé à Alger. La brouille était profonde. Mais on sait qu’en politique un divorce annonce toujours un nouveau mariage.

L’actualité internationale pressant, en effet, «l’amitié» revient en plat principal au menu des relations diplomatiques entre les deux pays. En 2022, la France n’a plus le même visage que l’année dernière. Désormais, le pays est fracturé sur les plans socio-économique, politique et identitaire. Le président français n’a plus les coudées franches. Non seulement il a perdu la majorité absolue à l’Assemblée, mais pour la première fois de l’histoire du pays, quatre-vingt-neuf députés du Rassemblement national (RN) y ont fait une entrée spectaculaire.

Quand on connaît le programme du RN en matière d’immigration, de sécurité, d’identité nationale, on peut craindre que le débat national soit désormais cannibalisé par l’extrême droite et pèsera davantage sur l’avenir du pays. C’est dans ce contexte intérieur très tendu que le président Macron choisit l’Algérie pour sa première visite d’État. Le geste est fort. À coup sûr, les discussions porteront peu sur l’immigration, le rapatriement des clandestins algériens vers leur pays, le Sahel et les droits humains après le Hirak.

Car rien n’est plus comme avant. En février 2022, un événement mondial a bouleversé les paradigmes internationaux: l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le conflit s’enlise depuis près de sept mois. Au thème de l’immigration en Europe s’est substitué celui de son approvisionnement en gaz, sérieusement menacé par Moscou. La visite de M. Macron à Alger intervient donc dans un climat géopolitique et économique anxiogène. La société russe Gazprom vient d’annoncer que ses livraisons de gaz via le gazoduc Nord Stream 1 seront arrêtées du 31 août au 1er septembre 2022 pour… maintenance.

L’avertissement est pris au sérieux. Le prochain hiver européen sera sibérien. Dans une économie européenne fortement inflationniste, les prix du gaz, de l’électricité et des carburants vont encore monter à la rentrée. Les tensions sociales vont éclater. La Russie, qui risque de jouer son va-tout dans sa guerre contre l’Ukraine, menace d’un arrêt total ses livraisons de gaz à l’Europe. Voilà pourquoi cette nouvelle donne place aujourd’hui l’Algérie dans un rapport privilégié qu’elle n’avait pas connu depuis des années. Elle est hautement courtisée.

Le pays qui chancelait en 2019 sous la révolution du Hirak, dont l’économie était agonisante, corrompue, et les caisses vides, était voué à la banqueroute. Il s’est retrouvé en quelques mois dans un renversement inespéré. L’Algérie est le troisième pays exportateur de gaz en Europe, après la Russie et la Norvège. Ses réserves constituent près d’un tiers des approvisionnements de l’Italie et de l’Espagne. En juin dernier, sa compagnie nationale, Sonatrach, a annoncé la découverte d’un énorme gisement à Hassi R’mel qui permettra de produire dix millions de mètres cubes par jour à partir de novembre.

En juin, elle a signé un contrat gazier de quatre milliards de dollars (1 dollar = 1 euro) avec TotalEnergies, les Italiens Eni et les Américains Continental Petroleum. Le prix du gaz atteignait un record le 23 août avec 290 euros le mégawattheure contre 190 euros fin février. La soudaine croissance est une aubaine pour les caisses de l’État, elle donne le tournis aux analystes. Le président Macron débarque à Alger dans ce grand chamboulement européen et international, au sein duquel la France ne peut se passer de «l’amitié» algérienne, et où les Algériens continuent le jeu du «je-t’aime-moi-non-plus» qu’ils entretiennent depuis l’indépendance avec l’ancienne puissance coloniale.

La stabilité sociale que cette manne des hydrocarbures permet d’entrevoir se traduit déjà par une hausse des subventions publiques versées aux habitants, les jeunes chômeurs en particulier. En Algérie, la paix sociale va «bénéficier» à «plein gaz» de l’invasion de l’Ukraine. Son développement économique également. En conséquence, dans les mois à venir, le pays aura besoin de profondes réformes pour vivifier son réseau d’entreprises privées indispensable – Emmanuel Macron va visiter des start-up créées par des jeunes – et créer une diversification de sa production pour promouvoir ses exportations.

Dans cette perspective d’une réduction de sa dépendance aux hydrocarbures, les investissements étrangers, dont les français, seront largement sollicités. C’est ce que Mohammed ben Salmane est récemment venu dire à M. Macron au nom de l’Arabie saoudite. En cette fin d’été caniculaire, la France ne peut se permettre d’être laissée pour compte dans ses promesses vis-à-vis d’un pays «ami proche» depuis 1830, mais surtout, qui a établi depuis son indépendance une relation «amicale très privilégiée», voire fraternelle avec un grand pays: la Russie. La bataille du gaz a été lancée.

De nouveaux rapports de force s’instaurent en Europe. L’Afrique du Nord en est partie prenante. L’Espagne le sait mieux que d’autres, elle qui soutient le Maroc dans le dossier du Sahara occidental. De janvier à juillet 2022, elle a vu ses livraisons de gaz réduites de 42 % par l’Algérie. L’hiver sera chaud autour des gazoducs.

Azouz Begag

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