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Maroc : Pourquoi le selfie de Saad Hariri fait le buzz

Ils posent en souriant comme une bande de copains mais Saad Hariri, MBS et Mohamed VI ont pourtant des relations personnelles des plus compliquées. Entre diplomatie et communication, décryptage de cet instantané parisien par Middle East Eye.

« Sans commentaire ». Le selfie que le Premier ministre libanais a posté lundi 9 avril dans l'après-midi sur Twitter, avec cette annotation, en a pourtant suscité des milliers sur les réseaux sociaux. Et pour cause : sur le cliché pris, apparaissent, tout sourire, Saad Hariri (qui prend la photo), le roi du Maroc Mohamed VI et le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane. 

Les trois personnalités posent selon toute vraisemblance dans un grand restaurant parisien, car c'est dans la capitale française que MBS est en visite officielle du 8 au 10 avril, que le souverain marocain se remet d'une opération au cœur et que le Premier ministre libanais – au-delà du fait qu'il se rend régulièrement à Paris – se trouvait pour la conférence de soutien à l'économie libanaise, la conférence CEDRE.

MBS : Saad tu nous prends en photo ?
Hariri : Pourquoi moi ?
MBS : Tu veux que je te séquestre...
M6 : À Tazmamart ?
Hariri : Ok, cheese ! pic.twitter.com/oRmrot3MSa

— el manchar (@el_manchar) 10 avril 2018

« Hypocrite », « hallucinant », « spectaculaire » : entre railleries, enthousiasme, et parodies, les réseaux sociaux ont largement diffusé et parfois détourné le selfie. Mais pourquoi ce selfie a-t-il provoqué autant de réactions ? 

D'abord parce que les trois dirigeants, qui posent comme une bande de copains, sont censés avoir des relations compliquées. Même si l'Arabie saoudite fait partie des principaux appuis du Maroc dans le dossier sur le Sahara occidental et soutient activement Rabat pour cette région qu'il considère comme la sienne, en août dernier, le roi Salmane ben Abdelaziz, le père de MBS, avait failli annuler ses vacances à Tanger, habituelle destination de villégiature, parce que son fils n'avait pas apprécié la neutralité du Maroc dans la crise avec le Qatar.  

Plus récemment, Rabat s'était froissée des tweets du conseiller du roi Salmane, Turki al-Sheikh. Ce dernier, aussi président de la Fédération saoudienne de football et de l'Union des associations de football arabe, avait déclaré : « Aucun pays n'a demandé le soutien de l'Arabie saoudite pour l'organisation du Mondial 2026, et le cas échéant, nous chercherons notre intérêt en premier », laissant entendre que Riyad ne soutiendrait pas Rabat dans sa candidature. 

« Il est vrai que l'Arabie saoudite a gardé une certaine rancune envers le Maroc, en raison de sa prise de position lors de la crise du Qatar », avait expliqué à Middle East Eye Moncef El Yazghi, spécialiste marocain en politiques du sport.

« Ils l'ont giflé à plusieurs reprises »

La relation entre Saad Hariri et Mohammed ben Salmane n'est pas censée être beaucoup plus amicale. Surtout depuis que le Premier ministre libanais a annoncé sa démission, en novembre dernier, à la télévision, depuis le royaume saoudien. Début avril, dans un long récit consacré au prince héritier, « La quête d'un prince saoudien pour refaire le Moyen-Orient », The New Yorker raconte les dessous de cet étrange épisode.

« Quand Hariri a été convoqué pour rencontrer MBS, il s'attendait à un accueil chaleureux de la famille royale. ‘’Saad pensait que tous ses problèmes avec MBS seraient résolus’’ », raconte un assistant de Hariri. « Au lieu de cela, à Riyad, il a été confronté à la police, qui l'a placé en détention. Selon deux anciens responsables américains actifs dans la région, il a été détenu pendant onze heures. ‘’Les Saoudiens l'ont mis sur une chaise, et ils l'ont giflé à plusieurs reprises’’, relate l'un des fonctionnaires. À la fin, dans une vidéo surréaliste diffusée à la télévision saoudienne, Hariri, l'air épuisé et crispé, a lu un discours de démission, affirmant qu'il avait fui le Liban pour échapper à un complot iranien visant à le tuer. »

Ensuite, parce que la présence de Mohammed VI à Paris inquiète les Marocains qui ont découvert, via les réseaux sociaux, qu'il avait subi une opération chirurgicale pour trouble du rythme cardiaque à la clinique Ambroise Paré. Depuis, des selfies du roi à Paris, posant avec des stars comme Maître Gims ou Djamel Debbouze, ou avec de simples anonymes, circulent sur les réseaux sociaux, laissant entendre que depuis février, Mohammed VI n'a pas beaucoup été présent dans son royaume. 

Il faut dire que les trois dirigeants ont en commun de bien aimer les selfies. Saad Hariri avait même déjà posé avec Mohammed ben Salmane et son frère, Khaled, ambassadeur du Royaume aux États-Unis, le 3 mars dernier à Riyad.

Dans ce domaine, MBS, qui tient à garder le contrôle de sa communication, n'est pas en reste, comme en témoigne ce selfie pris en décembre 2017 et posté sur Instagram, avec de jeunes Saoudiens dans le désert. Selon la version du site Al Arabiya, le prince héritier avait posé avec eux en s'excusant du vacarme causé par ses puissants véhicules qui passaient par là.

Pour certains médias arabes, comme Arabi21, le selfie de Saad Hariri est lu comme une preuve de rapprochement entre Beyrouth et Riyad. Lors de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE) qui s'est ouverte vendredi à Paris, l'Arabie saoudite a annoncé l’octroi au Liban d’un milliard d’euros de prêts.

Par ailleurs, début avril, un événement dans la capitale libanaise a sûrement fait plaisir à la monarchie saoudienne : Saad Hariri a baptisé en grandes pompes la nouvelle route maritime reliant Zaytuna Bay au secteur du Biel au nom du roi saoudien Salmane ben Abdelaziz, en présence des poids lourds du mouvement antisyrien du « 14 Mars », Walid Joumblatt et Samir Geagea.

Mardi soir, Saad Hariri a publié un nouveau selfie où on le voit aux côtés d'Emmanuel Macron et de Mohammed ben Salmane.

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