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France : Les contradictions de la politique des OQTF

Maglor - En quinze ans, la France est devenue le leader européen des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF), avec des chiffres en constante augmentation. Pourtant, derrière cette politique ambitieuse se cache une réalité bien plus nuancée, marquée par des failles d’exécution, des dérives administratives et des critiques croissantes.

Une multiplication des OQTF, une exécution en berne

En 2023, la France a prononcé près de 138 000 OQTF, un chiffre qui a presque doublé en une décennie. Cette explosion des mesures d’éloignement s’inscrit dans une logique affichée de fermeté face à l’immigration irrégulière. Cependant, leur taux d’exécution, déjà bas, n’a cessé de diminuer : de 17 % en 2013, il est tombé à 8,5 % en 2023, laissant plus de 90 % des mesures sans effet.

Pour de nombreuses personnes concernées, cette situation crée une double peine : elles vivent dans une précarité administrative et sociale, sans pour autant voir leur situation régularisée ou leur éloignement effectif.

Une "politique du chiffre" au détriment des droits

Selon un fonctionnaire interrogé par Complément d’enquête, les OQTF sont souvent prononcées dans le cadre d’une "politique du chiffre". Les agents des préfectures sont encouragés à chercher des prétextes, parfois mineurs, pour refuser des titres de séjour et émettre des OQTF.

"On nous faisait comprendre que si le nombre de refus pouvait être un peu supérieur au nombre d’accords, ça arrangerait tout le monde", explique un employé préfectoral. Cette logique pousse parfois à des décisions absurdes, visant des personnes parfaitement intégrées, comme des travailleurs sous contrat à durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI).

Le lien entre OQTF et insécurité : une réalité exagérée

Les OQTF sont également au cœur de débats sur l’immigration et l’insécurité. Certains faits divers, comme le meurtre de Philippine en 2024 ou celui de Lola en 2022, ont été instrumentalisés pour renforcer l’association entre immigration et criminalité.

Cependant, selon le ministère de l’Intérieur, seulement 1,4 % des OQTF prononcées entre 2019 et 2022 concernaient des étrangers condamnés. L’immense majorité des mesures visaient des personnes sans antécédents judiciaires, ce qui illustre le décalage entre la perception publique et la réalité.

"Faire mention de l’origine dans certains cas, tout en l’ignorant dans d’autres, contribue à entretenir une perception erronée du lien entre immigration et insécurité", analyse Jérôme Valette, spécialiste des migrations au CEPII.

Des préfectures saturées et des décisions bâclées

La multiplication des OQTF a engorgé les préfectures, limitant leur capacité à traiter les dossiers de manière qualitative. La Cour des comptes a dénoncé, en 2024, une gestion bureaucratique qui transforme les demandeurs en simples numéros.

"Pour nous, ce n’est plus une personne, c’est un dossier", regrette un fonctionnaire. Cette déshumanisation mène à des situations absurdes : des OQTF sont émises pour des erreurs administratives mineures, affectant des personnes intégrées, parfois depuis des années.

Une politique à revoir ?

Face à ces constats, de nombreuses voix s’élèvent pour critiquer une politique qui semble davantage servir des objectifs politiques que répondre aux enjeux réels de l’immigration irrégulière.

La multiplication des OQTF alimente un débat polarisé sans apporter de solution concrète, ni pour les personnes concernées, ni pour la société. Alors que les chiffres continuent de primer sur les droits, une question demeure : la France veut-elle réellement gérer l’immigration de manière efficace, ou préfère-t-elle entretenir une politique d’affichage, au détriment des individus et de l’efficacité administrative ?

En attendant, les préfectures continuent d’émettre des OQTF à un rythme effréné, laissant des milliers de personnes dans une incertitude chronique. Une réforme ambitieuse et humaine semble plus que jamais nécessaire pour sortir de cette impasse.

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